Europe : Retour à Maastricht

Au lancement de l’euro, l’espoir que celui-ci rapproche les Européens tout en leur apportant stabilité et prospérité était grand. Sept ans après la crise de l’euro, la monnaie commune a largement déçu. Les membres de l’union monétaire enregistrent une croissance plus faible que les autres économies avancées et des taux de chômage plus élevés. Le revenu par habitant de l’Italie est aujourd’hui de 7 % plus bas qu’en 2000. La situation de la France est moins dramatique, mais défavorable. Et les Etats membres sont en désaccord sur les ­causes de la crise comme sur l’avenir de la monnaie unique.

Coordination et surveillance des politiques budgétaires plus stricte, à Bruxelles

Après ce mauvais départ, comment l’euro peut-il devenir un succès ? Beaucoup assurent que l’union monétaire devrait aller de pair avec une union budgétaire, ce qui aurait deux implications : une forme de mutualisation des dettes publiques et une coordination plus rapprochée des politiques économiques des Etats membres. L’avantage serait que les taux d’emprunt des pays les plus endettés, comme le Portugal ou la Grèce, diminueraient. Mais cela aurait un coût élevé. Chaque Etat membre serait en effet incité à s’endetter plus, puisque la mutualisation signifie que les contribuables des autres pays payent la facture.

Certains avancent que cela ne se produirait pas si la mise en commun des dettes s’accompagne d’une coordination et d’une surveillance des politiques budgétaires plus stricte, à Bruxelles. Mais cette vision des choses est naïve. Depuis la création de l’union monétaire, la limite de 3 % du produit intérieur brut (PIB) pour le déficit public a en effet été violée 168 fois. Tant que les parlements nationaux auront le pouvoir de fixer le niveau d’imposition et de dépenses publiques, les traités européens ne les empêcheront pas de s’endetter excessivement. Dit autrement : mutualiser les dettes revient à dire à vos partenaires que vous ouvrez un compte bancaire commun, avec un plafond de découvert illimité. Chacun y aurait accès, se porterait garant pour les autres et s’engagerait vaguement à ne pas dépenser trop. N’importe quelle personne solvable et saine d’esprit refuserait une telle proposition !

Cette configuration conduirait inévitablement à une escalade des conflits amers que l’on observe déjà au sein de la zone euro, à propos des déficits. La discipline budgétaire que l’Allemagne exige des pays comme l’Italie et la France n’a rien à voir avec un amour idéologique de l’austérité. Elle ne souhaite pas supporter le poids des dettes publiques d’autres pays plus qu’elle ne le fait déjà.

La seule voie raisonnable pour la zone euro est de revitaliser la clause de « non-renflouement » du traité de Maastricht. Celle-ci stipule que, si un Etat est incapable de s’acquitter de sa dette, le fardeau ne peut pas être imposé aux contribuables des autres pays. En revanche, les investisseurs détenant les obligations souveraines de l’Etat en question doivent accepter une perte. Le problème est que cette clause perd de sa crédibilité quand une grande partie des obligations souveraines est détenue par les banques, surtout si celles-ci sont trop peu capitalisées. En effet, leur effondrement risque alors de déclencher des crises majeures. C’est pourquoi la clause de non-renflouement a été ignorée pendant la crise de l’euro. Il est donc essentiel que la réglementation bancaire évolue : il faut contraindre les banques à couvrir leurs achats d’obligations d’Etat par un montant de capitaux propres suffisamment élevé pour qu’elles puissent surmonter les éventuelles pertes sur les dettes publiques, sans que cela déclenche une crise financière.

Une zone euro ­décentralisée

Dans le cas où les créanciers privés acceptent un allègement de la dette publique, le fardeau de l’Etat concerné est moins lourd. En outre, cela évite que les Etats membres aient à se sermonner sur le pilotage de leurs finances publiques. Si un pays estime qu’un plan d’investissement financé par l’emprunt résoudra ses problèmes, il est libre de le faire. On pourrait objecter que les investisseurs n’évaluent pas toujours bien la solidité des Etats – on observe souvent des vagues de prêts ­imprudents aboutissant à des paniques financières excessives. Cet ­argument peut être utilisé pour justifier l’existence du Mécanisme européen de stabilité (MES), créé en 2012, qui fournit des liquidités temporaires aux Etats lorsque les marchés sombrent dans la panique. Mais la raison d’être du MES ne doit pas être de rembourser les créanciers privés aux dépens des contribuables des autres pays.

Quel serait le rôle d’une politique budgétaire dans une zone euro ­décentralisée, sans mutualisation des dettes ? Les règles budgétaires européennes serviraient de ligne directrice. La coordination des politiques nationales ne serait plus empoisonnée par les pressions des pays redoutant de devoir supporter la dette des autres. Cette configuration décentralisée éviterait également qu’à l’avenir des Etats deviennent les principaux créanciers d’autres pays membres. La crise grecque a montré que ce genre de relations de dette conduit à des ressentiments susceptibles de miner la coopération et les relations entre nos pays.

Clemens Fuest est président de l’institut ­économique allemand IFO.

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