Europe : vive le débat, exit le référendum

Les Britanniques ont démocratiquement choisi leur futur. Il sera européen, car ce grand pays restera pour l’Europe un partenaire stratégique. Mais il ne sera plus dans l’Union européenne (UE). La France n’est pas le Royaume-Uni, notre rapport à l’Europe est beaucoup plus profond, plus intime, notre pays a toujours été au cœur de l’Europe, pas à sa marge. Il y restera. Il doit y rester. Mais il est évident que des leçons majeures doivent être tirées de ce vote.

Nous devons, d’abord, entendre le besoin criant de débat sur l’Europe, si longtemps évité, qui ne peut aujourd’hui plus être contourné. Je souhaite qu’il ait lieu en France, et que les Français sachent, en élisant leur président en 2017, ce qu’il fera pour l’Europe. Je souhaite aussi que ce débat se déroule au niveau européen. Qu’il ait lieu au Parlement européen. Qu’il vive dans les Parlements nationaux. Qu’il implique tous les acteurs politiques, économiques, sociaux, culturels. Que les intellectuels s’en saisissent. Et surtout qu’il associe largement les citoyens. Faut-il pour cela un référendum ? Je vois avec un peu d’inquiétude que c’est devenu depuis le vote britannique le slogan à la mode. Marine Le Pen, partisane d’un «Frexit» en a eu la primeur. Jean-Luc Mélenchon lui emboîte le pas. Bruno Le Maire, François Fillon, Emmanuel Macron - dans un esprit certes très différent - s’y rallient. Nicolas Sarkozy ne l’écarte pas. Je respecte ces prises de position, mais je leur dis : «faites attention» avant de vous jeter dans ce combat incertain et sans doute dangereux. Utiliser le référendum à des fins électoralistes, c’est manier de la nitroglycérine. C’est ce que David Cameron a fait pour gagner des élections législatives mal engagées. Deux ans après, il a perdu le pouvoir et restera dans l’histoire comme le Premier ministre qui aura fait sortir la Grande-Bretagne de l’UE, et peut-être mis fin à l’unité du royaume. Ce destin n’est enviable pour personne ! Trop de tactique tue la tactique, et les apprentis sorciers finissent par payer leurs tours ratés.

Et puis, faites surtout attention aux dégâts du référendum. Le référendum sur l’Europe divise, blesse, brûle. Pensez aux jeunes Britanniques, qui se sentent profondément européens, qui ont voté pour le remain à plus de 70 % et voient leur idéal brisé. Regardez les Ecossais qui songent à réclamer leur indépendance, les Irlandais qui pourraient rechercher leur unité. Pensez aux habitants de Gibraltar, qui ont voté à 96 % pour rester dans l’Europe. Et n’oubliez pas les Londoniens, habitants désemparés d’une ville, qui est désormais à la fois la capitale de la Grande-Bretagne et une enclave dans ce pays. Les conséquences humaines du référendum sont ravageuses - sans parler des coûts économiques - les cicatrices seront profondes et peut-être ineffaçables. Je ne voudrais pas de cela pour la France !

Le référendum est aussi, souvent, un instrument de déformation et de désinformation massive. Chacun le sait, dans un référendum sur l’Europe, il n’y a pas de symétrie : les partisans du non se saisissent de tout pour libérer les émotions et susciter l’anxiété, les défenseurs du oui partent avec un handicap majeur, condamnés à la pédagogie ennuyeuse d’une rationalité forcément complexe. L’Europe mérite un débat approfondi, pas un combat confus qui se conclut par un oui ou un non.

Je n’ai pas peur du débat démocratique sur l’Europe. Au contraire, je suis le premier à le réclamer. Je suis convaincu qu’il faut réinventer l’Europe. Je veux une Europe qui protège, capable de mener une politique de sécurité et de défense plus vigoureuse et coordonnée, de garantir ses frontières, de répondre enfin avec ambition à la crise des réfugiés. J’attends une Europe qui prépare l’avenir, à travers un effort d’investissement massif dans la recherche et le développement, l’innovation, l’éducation, la jeunesse, bref, tout ce qui enrichit le capital humain. Je souhaite un renforcement de la zone euro, qui a fait ses preuves dans la tempête financière, qui doit désormais mener une politique économique aussi puissante que sa politique monétaire, et pour cela se doter d’une gouvernance plus effective et plus démocratique. C’est ainsi que nous construirons les réponses populaires qui démentiront les populistes.

Je n’écarte pas toute perspective de consultation référendaire. Je rêve d’un référendum consensus qui, au terme d’un grand débat à la fois national et paneuropéen, pourrait rassembler autour de la vision partagée d’une Europe puissante et progressiste, capable de créer la croissance et les emplois dont nous avons besoin. Mais je crains que dans l’état de division, de tension, de violence symbolique qui règne en France, ce cas de figure n’existe pas. Voilà pourquoi ceux qui prétendent demain aux plus hautes responsabilités du pays devraient se comporter en hommes d’Etat et, plutôt que de se lancer tête baissée dans une voie risquée, se saisir du grand débat de 2017 pour en faire le vrai référendum sur l’avenir de l’Europe et de la France en Europe.

Pierre Moscovici, député PS du Doubs, ancien ministre des Affaires européennes.

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