Evitons le « Brexit »

La Commission européenne s’est résolument engagée depuis peu dans un nouveau programme visant à « améliorer la législation » (en anglais « better regulation »). Ce programme, piloté par le premier vice­président de la Commission, le Néerlandais Frans Timmermans, vise à rendre l’activité législative européenne plus transparente et surtout à renforcer le processus d’évaluation de cette activité (en anglais « impact assessment ») afin d’éviter une prétendue obsession régulatoire et en ne gardant qu’une harmonisation normative jugée strictement nécessaire au bon fonctionnement de l’Union.

Ce faisant, la Commission remet en selle une approche qui avait déjà été avancée dans les années 2000 sous la pression de quelques États membres particulièrement réservés à l’égard de l’harmonisation européenne comme le Royaume­Uni, les Pays-Bas ou encore l’Irlande. Mais cette fois, il semble bien que des moyens considérables soient affectés à cette tâche qui est donc menée au plus haut niveau de la Commission. « Améliorer la législation » laisse évidemment sous-entendre que jusqu’ici on aurait mal légiféré et qu’il est enfin temps de remettre de l’ordre dans la machine législative communautaire. En oubliant au passage que ces législations, parfois jugées trop nombreuses ou trop complexes, sont le fruit non pas d’un excès de zèle des fonctionnaires européens qui manifesteraient des lubies administratives mais tout simplement de la pression des hordes de lobbyistes qui hantent les institutions européennes et dont les avis et recommandations sont plus ou moins complaisamment relayés par certains parlementaires européens et par certains gouvernements des États membres.

Marketing politique

Le concept de « mieux légiférer » constitue en fait un coup de génie de marketing politique pour faire régresser les initiatives. Comment s’opposer en effet à l’idée qu’il faille mieux légiférer ? On ne peut a priori qu’applaudir à un tel programme qui vise à rationaliser l’activité législative européenne en pratiquant l’analyse d’impact des propositions déposées par la Commission de même que des amendements à celles-ci proposés par le Parlement et le Conseil. Cependant, il est permis de s’interroger à la fois sur la méthode employée et sur l’objectif final.

Sur la méthode, quelle est la légitimité de ces Conseils d’examen qui se pencheront sur ces propositions de la Commission et ces amendements de nos élus ? Sur la base de quels critères rendront-ils leurs jugements ? Comment seront-ils formés ? Quel sera le poids des lobbies dans ces enceintes qui pèseront sur les institutions démocratiques de l’Union ? Quelles garanties d’objectivité et d’indépendance offrent ces Conseils ? En alourdissant ainsi le travail législatif, en le rendant plus coûteux et plus lent, au prétexte de rationalisation, ne favorisera­t­on pas les lobbies les plus puissants capables d’investir des sommes énormes sur plusieurs dossiers, et ne poursuit-on pas, in fine, un autre but ? Car à propos de l’objectif final, réguler mieux ne signifiera­t­il pas en fait réguler moins, voire même sans doute, à terme, déréguler ?

N’y aurait-il pas un agenda caché sous le couvert de cette rationalisation ? Par exemple, aller à la rencontre des opinions publiques chauffées à blanc par les souverainistes et eurosceptiques de tous poils qui jugent intolérables les normes fixées par « Bruxelles », c’est-à-dire par les 736 parlementaires européens démocratiquement élus et par les gouvernements des 28 États membres eux aussi démocratiquement élus. Et aller ainsi vers moins d’Europe pour apaiser le débat politique. Mieux encore, surprenant hasard du calendrier, ce programme n’irait-il pas également à la rencontre des préoccupations d’un grand Etat membre qui s’interroge sur son avenir européen et veut le soumettre à référendum ? Mieux légiférer vient en effet à point nommé au moment où s’annonce un possible Brexit.

Le gouvernement Cameron, qui oscille entre euroscepticisme et eurocynisme, va demander de renégocier des pans entiers des politiques communautaires afin de rapatrier des compétences du niveau européen au niveau national en menaçant de sortir de l’Union s' il n’obtient pas ce qu’il souhaite ou plutôt en déclarant que, s’il n’obtient pas satisfaction, et bien le résultat du référendum se marquera par le départ du Royaume-Uni de l’Union. Il y a fort à parier que plusieurs gouvernements d’autres États membres feront tout pour satisfaire les Britanniques d’une part pour maintenir ceux-ci coûte que coûte dans l’Union et d’autre part parce qu’ils partagent plus ou moins discrètement certaines des revendications britanniques. Et il y a fort à parier que la Commission cherchera elle aussi par tous les moyens à maintenir le Royaume-Uni dans l’Union, au besoin en allégeant les politiques communautaires. Le Brexit serait à coup sûr une catastrophe pour le RU (la City commence à s’en rendre compte et est en train de monter au créneau) et serait sans doute perçue comme un échec politique pour l’Union européenne, même si, dans les faits, ce départ serait moins douloureux qu’il n’y paraît tant la liste des exonérations dont bénéficie le RU est longue, au point que l’on peut se demander s’il n’est pas déjà devenu un membre associé plutôt qu’un membre à part entière. Mais pour éviter le Brexit, faut-il pour autant démanteler des pans entiers de l’harmonisation européenne ?

Espérons que nos dirigeants ne tomberont pas dans le piège d’un détricotage des acquis de l’Union et que le Parlement européen saura résister à la fois aux oukases des lobbyistes infiltrés dans les comités de « screening » et aux velléités de renationalisation des politiques communautaires menées par certains États membres. Et à l’heure du mieux légiférer, il est sans doute utile de se souvenir qu’il est possible de recourir à des coopérations renforcées entre les États membres qui souhaitent aller de l’avant. La différenciation comme remède à la renonciation…

Philippe Vigneron maître de Conférences à l’Institut d’Études européennes de l’Université libre de Bruxelles

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