Ex-membres de l’ETA détenus en France : « Il s’agit de laisser mourir des condamnés en prison, à petit feu, sans témoin »

Oh ! Rassurons les bonnes âmes, l’échafaud ne sera pas remonté demain dans une cour de prison. Le projet est moins dérangeant et bien plus hypocrite : il s’agit de laisser mourir des condamnés en prison, à l’abri des regards, à petit feu, sans témoin. Les pouvoirs publics et une partie de la justice antiterroriste collaborent dans cette mise à mort discrète. Il est vrai que ces hommes ont été condamnés pour des actes graves. Dès lors, pour certains, les arguments du droit ou les évidences de la simple humanité deviennent inaudibles.

Frédéric Haramboure, Ion Parot et Jakes Esnal, condamnés en France à la réclusion criminelle à perpétuité, y sont détenus depuis presque trente ans. S’ils avaient été jugés en Espagne, ils seraient libérés dans quelques semaines puisque, dans ce pays et dans leur cas, les peines ne peuvent être exécutées au-delà de trente ans.

Ils ont tous trois, à plusieurs reprises, demandé leur libération conditionnelle.

La cour d’appel de Paris, avec un rare acharnement, refuse tout aménagement de peine. A lire ses arrêts, il ne fait pas de doute que ces détenus mourront en prison : « Au regard de l’exceptionnelle gravité des faits, la peine doit garder tout son sens et son effectivité en s’exécutant dans la durée. » En accord avec le parquet antiterroriste, cette juridiction à compétence nationale refuse de prendre en compte l’évolution historique du Pays basque, le long processus de paix depuis la conférence internationale d’Aiete en 2011… Elle prétend même qu’il existe un risque de réitération des faits.

Les juges de première instance, appliquant la loi et la jurisprudence ordinaire en la matière, avaient pourtant fait droit aux demandes de ces détenus. Ils avaient pris en compte cette réalité historique incontestable qu’est le processus de paix. Ils avaient notamment souligné le sérieux et la solidité des projets de réinsertion, l’importance de l’accompagnement familial et l’absence de risque de renouvellement de l’infraction.

Faire preuve d’imagination

Depuis 2011, les armes se sont tues au Pays basque, en France comme en Espagne. Le 8 avril 2017, les stocks d’armes de l’ETA ont été remis aux autorités françaises, et, le 3 mai 2018, cette organisation prononçait sa dissolution. On aurait pu croire que ce processus, largement soutenu par la société civile et les élus de tout bord du Pays basque français et accompagné d’une déclaration reconnaissant les torts causés, entraînerait un changement de paradigme judiciaire dans la foulée du changement politique intervenu. Bien sûr, nul n’imaginait, ni n’avait d’ailleurs demandé, que tout s’efface. Des procédures sont en cours, des prisonniers purgent leur peine, des victimes attendent encore de savoir et ceci concerne toutes les parties au conflit.

Sans doute sera-t-il nécessaire de faire preuve d’imagination pour traiter d’un conflit ayant débuté avant la seconde guerre mondiale et ne pas le laisser continuer à hypothéquer la reconstruction d’une société apaisée. Mais il n’était pas interdit de penser qu’en attendant un règlement plus global, le traitement judiciaire des situations engendrées par ce conflit s’imprègne du changement politique que signifient et l’autodissolution de l’ETA et le large soutien dont bénéficie le processus de paix au moins au Pays basque français.

« Le Pays basque est pour moi un exemple, quand je regarde ces dernières années, de résolution d’un conflit et de sortie des armes, affirmait le 17 mai 2019, le chef de l’Etat à Biarritz. Le devoir de l’Etat est d’accompagner le mouvement. Nous ne devons pas faire bégayer l’Histoire, il faut l’accompagner. »

Il serait bon que la politique de la France gagne en cohérence et en humanité et que le dernier pas de ce chemin vers la paix au Pays basque soit enfin franchi sous le regard bienveillant de la justice.

Maritxu Paulus Basurco (avocate), Xantiana Cachenaut (avocate), Serge Portelli (magistrat honoraire, avocat), Philippe Texier (conseiller honoraire à la Cour de cassation), Michel Tubiana (avocat et ancien président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme).

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