Excuse-moi Benoît

Franchement, entre nous, ça aurait dû le faire 100 fois. J’aurais dû voter pour toi, Benoît. Mais je t’ai fait faux bond pour aller chez l’irascible Mélenchon qui, aujourd’hui, ne digère pas d’être passé si près et tarde à faire barrage à Le Pen. Je vais tenter de t’expliquer pourquoi, au lieu de parier sur ton futur désirable, j’ai cédé à l’appât d’un gain inespéré qui s’est révélé n’être que pure perte.

Il y a longtemps, en blouson de chinchilla et pantalon à carreaux, Françoise Hardy fredonnait «Etonnez-moi Benoît». Et il faut reconnaître, Benoît, que dès les primaires, tu commences par nous bluffer en marchant sur les mains et en faisant le grand soleil. Comme dans la chanson, ton programme nous prend au lasso pour un joyeux rodéo. Le revenu universel est une idée brillante et excitante, flambante et opérante. Tout à coup, on ne s’ennuie plus dans cette gauche vieillie. On devient barista, spécialiste en mixologie d’utopies, réinventant les proportions du cocktail mélangeant les trois temps de la vie (apprendre, produire et buller à la fraîche dans le hamac de l’indolence choisie).

Au-delà de cette idée à casser des briques théoriques, il n’y a pas de grandes différences entre tes propositions et celles de Mélenchon. Côté économie, vous êtes d’accord pour partager la richesse, répartir l’emploi et redonner des moyens à la puissance publique. Côté sociétal, vous vous retrouvez pour accorder des libertés aux individus. Ne manque que le droit de marchander son corps, comme si tous deux vous aviez été repris en main par certaines brigades feministes. Mais bon, je vous en ai déjà fait reproche, alors passons.

Vu cette gémellité, votre alliance aurait été ma chance. Mais ça ne s’est pas fait et on ne va pas démêler à qui la faute. Benoît, je te vois petit à petit baisser dans les sondages. C’est injuste, mais c’est ainsi. L’opinion devient la reine de mon petit monde. Alors que je ne cesse de prétendre qu’il faut voter pour ses idées, et tant pis si cela se réduit à un bulletin témoin, je regarde Mélenchon monter haut. Le cabochard des Insoumis ranime un espoir souffré et fulminant, sulfureux et fumeux. Tu es poussé sur la touche quand il a une incroyable balle de but. En te trahissant, je peux me remettre dans le match et espérer faire la nique à l’autoritaire xénophobe, au conservateur thatchérien et au jeune mélangeur de prudences.

Moi qui me fais gloire de ne jamais répondre à l’injonction du vote utile, me voilà prêt à abjurer pour me retrouver turfiste à courte tête, opportuniste d’une encolure, gagnant fildefériste. Et aussi, il faut bien l’avouer, preneur de palais d’Hiver au temps des cerises. Ou hologramme bolchevique au couteau entre les dents, affolant le bourgeois que je suis devenu.

J’aime en toi, mon petit Benoît, ces choses simples que sont la modernité décontractée, le sens du collectif et l’humour à mimique avisée. Tu es charmant mais c’est au plus offrant et au mieux-disant qu’on se vend. Avec Mélenchon, le grognon parano, c’est humainement beaucoup plus compliqué. Il m’énerve en Robespierre divinisant le peuple, il me convient en Mitterrand 81. Il m’amuse en Zapata et en Bolívar, il me troue en Castro et en Chávez. Il m’inquiète en Lénine, il me rassure en Trotski rhabillé rad-soc. Surtout, je ne peux m’empêcher de jubiler en voyant la panique que le tribun esseulé et agressif sème au sein de la génération des soixante-huitards. Mes grands frères libéraux-libertaires se rallient à Macron. Sous couvert de belle âme ouverte et accueillante, ils cachent mal un statut à préserver et une fatigue devant ces déclassés qui puent, qui pètent et qui rejettent les élites autant que celles-ci les méprisent.

Bizarrement, Benoît, les pas de clerc de Mélenchon en politique étrangère ne me voient pas revenir vers toi. Mon pacifisme constitutif, mon refus des interventions armées en des contrées compliquées, mon souci premier du démontage de l’EI me font passer par profits et pertes les ambiguïtés antiaméricaines du Líder Máximo.

Et voilà comment, je me retrouve à faire les yeux doux au méchant loup et au grand fou, tandis que tu avales des pommes de pin, des poires et des lames de rasoir. Même le soutien de Pamela Anderson à Méluche et les pathétiques bisouilleries sur le museau des pauvres animaux ne me font pas battre en arrière. Dans l’isoloir, je sais déjà que la probabilité JLM baigne en eaux stagnantes, mais comme tu n’as entamé aucune remontada, je ne bouge pas.

J’admets que si le sort avait été meilleur et la gauche de gauche en situation, je n’en serais pas réduit à te confesser ma misère. Je me féliciterais de ma crapulerie tactique et je te nommerais Premier ministre. Mais voilà, c’est fini. Je te laisse avec sur les bras un score en ratatouille et un PS en quenouille. Pour tout ça et pour le reste que je ne dirai pas, excuse-moi Benoît.

Luc Le Vaillant

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