Expérimentation animale : une controverse scientifique

Nous reprendrions volontiers à notre compte le titre de la tribune parue dans Libération le 30 novembre et que 400 scientifiques ont signée : «Assez de caricatures sur l’expérimentation animale !» On pourrait leur retourner le compliment lorsqu’ils évoquent des «groupuscules déguisés en lanceurs d’alerte (qui) remettent en cause les bases de la biologie».

Qu’il y ait des minorités actives est une chose, mais rien ne permet de penser qu’il s’agit là d’un complot obscurantiste dont les médias se feraient complices. La critique des expérimentations sur ces êtres sensibles que sont les animaux excède largement les militants de la cause animale. L’expérimentation, quand elle se traduit par des souffrances, des mutilations ou des «sacrifices», est une source de malaise, même dans les institutions de recherche, un malaise dont on parle rarement, souvent mis sous le boisseau, néanmoins réel.

Du ressenti des techniciens animaliers

Les auteurs de la tribune en prendraient peut-être la mesure s’ils s’interrogeaient sur ce que ressentent les techniciens animaliers, les techniciens de laboratoire, les doctorants et post-doctorants lorsqu’ils effectuent des manipulations : la plupart ne sont pas insensibles aux souffrances qu’ils infligent et dont ils ont une expérience vécue.

Remarquons encore qu’exhiber une liste de prix Nobel que l’on doit à des expériences sur les animaux ne prouve rien. Comment pourrait-il en être autrement puisque tous les biologistes, jusqu’à ces derniers temps, ont expérimenté sur des animaux ? Plus sérieusement, on pourrait rappeler que ceux qui critiquent l’expérimentation animale remettent en cause les méthodes d’investigation et non les bases même de la biologie, puisque c’est sur ces bases et sur la confiance dans le progrès des connaissances dans ces champs disciplinaires qu’ils comptent pour voir s’imposer des solutions alternatives. Ne vaut-il pas mieux discuter et examiner la question de l’expérimentation animale avec tout le sérieux requis ?

Il est vrai que la directive du 22 septembre 2010 a remplacé le système de déclaration préalable des projets par un système d’autorisation subordonnée à une évaluation favorable délivrée, notamment en fonction de leur conformité avec les exigences de remplacement, de réduction et de raffinement (articles 36 à 45). Mais les 400 signataires oublient de dire que ces exigences sont fortement relativisées par la directive elle-même qui ne les envisage souvent que «dans la mesure du possible» (articles 4 et 13) ou «sauf si cela n’est pas approprié» (article 14 relatif à l’anesthésie).

Surtout, ils se gardent bien de dire que la transposition de la directive en droit français (1) a contourné l’exigence d’impartialité de l’évaluation des projets. Il importe, en effet, de savoir et de faire savoir que, aujourd’hui encore, le code rural prévoit que l’évaluation se fait par un comité d’éthique en expérimentation animale, certes agréé par le ministère, mais créé à l’initiative de l’établissement utilisateur lui-même avec l’assurance que la majorité de ses membres n’a aucune objection de principe à l’expérimentation animale. C’est une parfaite illustration du vieux proverbe «on n’est jamais mieux servi que par soi-même» et une manifestation criante de déni de démocratie scientifique.

Des avancées considérables permettent d’envisager le remplacement de l’expérimentation animale, surtout pour certaines recherches médicales, les tests de toxicologie et les études pharmacologiques concernant l’intérêt, les doses efficaces et les risques d’effets collatéraux de molécules thérapeutiques.

Des mini-organes in vitro comme modèles

On est ainsi parvenu, à partir de cellules-souches, à obtenir des ébauches d’organes qualifiés d’organoïdes (des organoïdes d’intestin, d’estomac, de pancréas, de cerveau, de prostate, de poumon, de rétine, de rein, de tissu mammaire, de foie). Ces mini-organes in vitro peuvent servir de modèles pour étudier certaines pathologies humaines et, à plus court terme, fournir des outils rapides et fiables pour tester des molécules et comparer des thérapies.

Une entreprise suisse a ainsi mis au point des organoïdes tumoraux, à partir de biopsies, ce qui permettrait de comparer rapidement l’efficacité de différentes thérapies anticancéreuses et de personnaliser les traitements. Si ces nouvelles techniques constituent un progrès, il est certain que les organoïdes ne possèdent pas toutes les fonctionnalités des organes, parce qu’ils ne sont pas en interaction avec les mécanismes de régulation de l’organisme.

La controverse entre ceux qui estiment que l’on prend moins de risques en utilisant les méthodes substitutives les plus récentes avant de procéder à des essais cliniques qu’en testant sur des modèles plus ou moins imparfaits d’animaux et ceux qui argumentent qu’il faut maintenir des expériences sur des organismes animaux est bien une controverse scientifique. Pas un complot obscurantiste contre la science.

Période transitoire

Nous avancerions volontiers que nous sommes, en la matière, dans une période de transition. Comme l’indique la directive européenne, le remplacement est un objectif qui ne sera acquis qu’à l’issue d’un processus au cours duquel il conviendra de favoriser avec détermination le développement et l’emploi de méthodes substitutives.

Comme toute période transitoire, celle-ci sera marquée par des conflits et des manœuvres de diversion. Outre que toute méthode nouvelle a du mal à s’imposer par rapport à celles qui sont pratiquées depuis longtemps, que l’on maîtrise et que l’on s’est employé à sophistiquer, le processus de substitution se heurtera à la réglementation en ce qui concerne les tests et les expertises (changer de réglementation demande du temps), mais aussi, comme le montre la tribune, à l’hostilité du «main stream» des biologistes.

Florence Burgat, philosophe, directrice de recherche à l’INRA.
Colette Goujon, neurologue à l’hôpital Henri-Mondor et présidente du Comité de lutte contre la douleur.
Raphaël Larrère, agronome et sociologue, directeur de recherche à l’INRA.
Jean-Pierre Marguénaud, professeur agrégé de droit privé et de sciences criminelles à l’Université de Limoges, membre de l’Institut de droit européen des droits de l’homme.


(1) Décret du 1er février 2013.

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