Expropriation des terres en Afrique du Sud: une bombe à retardement?

Manifestation du Economic Freedom Fighters devant le tribunal de Bloemfontein, avril 2018. © CHARL DEVENISH
Manifestation du Economic Freedom Fighters devant le tribunal de Bloemfontein, avril 2018. © CHARL DEVENISH

C’est un sujet explosif qui a été évoqué pour la première fois au parlement sud-africain le mois dernier: l’expropriation des terres «blanches» sans compensation! Toute l’Afrique du Sud est en état d’ébullition. Il faut dire que l’exemple du Zimbabwe n’est pas pour rassurer les fermiers blancs, ni l’élite noire sud-africaine qui profite de la croissance économique, ni le roi des Zoulous qui possède des terres. Une guerre civile pourrait éclater, comme l’a prophétisé l’ancien fermier Terblanche, assassiné il y a quelques années. Pourtant, les Noirs argumentent à bon droit depuis deux siècles: «Quand les Blancs sont arrivés, ils avaient la Bible et nous les terres. Maintenant, nous avons la Bible et eux les terres…»

Exemple du Zimbabwe, prudence de la Namibie

Ce problème est particulier à toute l’Afrique australe, où les anciens colons ont établi des cadastres très précis. Peu après l’indépendance du Zimbabwe en 1980, Robert Mugabe avait promis des terres aux combattants, mais la mise en œuvre s’est révélée difficile. Et pourtant, presque tous les fermiers blancs qui avaient fait du pays le grenier de l’Afrique australe furent chassés avec brutalité et Mugabe devint dans toute l’Afrique le héros «qui a osé chasser les Blancs». N’ayant ni les compétences ni les capitaux pour gérer une agriculture moderne et nourrir 15 millions d’habitants, la faim a fait son apparition et l’économie s’est effondrée.

En conséquence, en Namibie, indépendante en 1990, le gouvernement inquiété par l’appauvrissement du Zimbabwe a choisi la prudence. Les terres au nord, où habite la moitié des deux millions d’habitants, restèrent communales. Dans le reste du pays, les fermes peuvent être achetées au prix du marché et une banque agricole favorise les acheteurs. Mais là aussi, il faut des capitaux pour les forages pour l’eau et des compétences importantes, que certains Noirs possèdent cependant. Et pourtant, aucun des deux présidents successifs n’a osé formuler une vraie réforme agraire.

C’est dire que le problème en Afrique du Sud est entier. Petit rappel historique: l’appropriation des terres par les Blancs remonte au tout début du XVIIIe siècle, avec l’arrivée des protestants chassés de France par la révocation de l’édit de Nantes en 1685 (Louis XIV). Ils s’installèrent d’abord dans la région du Cap, puis, chassés à nouveau par les Anglais vers 1830, ils s’enfoncèrent dans le nord-est du pays, non sans livrer des batailles contre les guerriers zoulous (Blood River). Des batailles aussi entre Boers et Anglais qui emprisonnèrent femmes et enfants boers où 30 000 moururent de maladies et de faim. Réconciliés, les Blancs passent le Natives Land Act en 1913 qui divise le territoire sud-africain entre les terres indigènes (7%, puis 13%) et les terres pour les Blancs (87%). En 1948, l’Afrique du Sud, colonie anglaise, devient indépendante et l’apartheid est introduit par un gouvernement nationaliste.

Négociation entre De Klerk et Mandela

L’ANC, fondée en 1923, entre alors dans une lutte anti-apartheid. La répartition des terres, sujet ultrasensible, a fait l’objet de négociations serrées entre Nelson Mandela et Frederik De Klerk en 1994, date de la vraie indépendance. Ainsi, pour favoriser la réconciliation entre Noirs et Blancs, la réforme agraire est renvoyée à plus tard, et ni Thabo Mbeki ni Jacob Zuma n’empoigneront vraiment le problème, bien que des terres puissent être achetées à un prix fixé par le gouvernement. Coup de foudre le 7 mars dernier, le sujet est soumis au parlement par Julius Malema (Economic Freedom Fighters), qui demande l’expropriation des terres sans compensation…

Le nouveau président Cyril Ramaphosa y est favorable, mais ne veut rien précipiter et veut faire cela dans les règles du droit. De violentes réactions ont alors éclaté dans la société sud-africaine. Sur les réseaux sociaux, la parole des racistes blancs et noirs s’est libérée. La question de la terre touche le cœur profond des Blancs qui disent qu’ils ont fait l’Afrique du Sud, qu’ils l’ont développée, qu’ils ont su mettre en valeur ses ressources et ses terres. Et qu’ils n’abandonneront jamais ces terres où ils sont depuis le début du XVIIIe. Mais il y a aussi l’injustice subie par les Noirs et qu’il faut tenter de réparer (26% de terres aujourd’hui).

Il est certain que si le vote abouti tel quel, il n’y aura plus de réconciliation entre les différentes communautés. Des centaines de fermiers blancs ont déjà été assassinés, 72 depuis janvier dans les zones rurales. Mais alors comment nourrir autrement les 55 millions d’habitants? C’est la première question à se poser pour permettre à la société arc-en-ciel de vivre en paix.

Christine von Garnier, Dr en sociologie politique et journaliste.

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