Extraction minière : « Les entreprises anticipent la transition, mais elles attendent d’être contraintes par les Etats »

Le très controversé projet de mines de charbon de Carmichael, au Queensland, (Australie) [autorisé mi-juin par l’Etat du Queensland], opéré par la société indienne Adani, prévoit une production de 25 millions de tonnes par an, pouvant évoluer à 60 millions de tonnes, exportées vers les centrales électriques indiennes, qui émettront ainsi 150 millions de tonnes de CO2 par an. Soit 0,3 % des émissions mondiales et 5 % de celles de l’Inde. On craint, par ailleurs, de nombreuses pollutions des sols et des eaux locales, ainsi que de la Grande Barrière de corail, toute proche.

Qui est responsable de ces pollutions ? Le gouvernement australien ? Les actionnaires et les banquiers d’Adani ? Les producteurs d’électricité indiens, qui se moquent de l’efficacité énergétique de leurs vieilles centrales, étant donné le bas prix du charbon ? L’artisan indien qui, grâce à son unique ampoule électrique, travaille jour et nuit sur sa machine à coudre ? Le riche Indien qui climatise un palais de 30 pièces alors que c’est une passoire thermique ? Le gouvernement indien ?

Les responsables sont les acteurs qui, compte tenu de leurs objectifs, de leurs pouvoirs et des contraintes qui pèsent sur eux, pourraient faire quelque chose et cependant ne font rien. Certains ont espéré que le seul fonctionnement des marchés, accompagné de la pression d’ONG combatives, pourrait inciter les firmes productrices d’énergie à s’engager dans la transition. Ce sont des illusions. Les responsables ultimes sont toujours les Etats, car il y a très peu à attendre du comportement spontané des firmes et de celui des citoyens les plus vertueux, quand bien même ils en ont les moyens financiers. Les Etats doivent les y inciter ou les y contraindre.

Les compagnies minières et pétrolières ont déjà découvert quatre fois plus de réserves de carbone fossile, exploitables au prix actuel, que nous pouvons nous permettre d’en brûler. La tendance des prix sur des « marchés libres » de carbone fossile sera stable, voire décroissante, dans les décennies à venir. Ils resteront longtemps inférieurs à ceux des solutions décarbonées, sauf exceptions locales et limitées. Les « signaux prix » qu’envoient les marchés de l’énergie fossile les rendent donc totalement inefficaces pour orienter les choix vers des énergies propres. Il faut que les Etats corrigent ces signaux par une combinaison de taxes, de normes et d’organisation de marchés de permis d’émissions. Ils doivent aussi agir du côté de l’offre en investissant dans des infrastructures zéro carbone et dans la recherche.

Comment faire accepter ces mesures ?

On a également fondé, depuis quelques années, de grands espoirs sur les initiatives que pourrait prendre la « finance verte » pour accélérer la transition énergétique. De fait, la pression des ONG a conduit certaines banques à renoncer à financer l’industrie du carbone – c’est le cas du projet d’Adani au Queensland, qui ne sera pas financé par les banques locales. Plus généralement, banques et investisseurs institutionnels s’efforcent d’évaluer les conséquences du risque climatique sur la rentabilité et la solvabilité de l’ensemble de leurs clients.

Ils distinguent pour ce faire deux types de risques « climatiques ». Le risque physique – intempéries, montée des eaux, etc. –, qui fait l’objet d’une intense recherche d’instruments et d’indicateurs capables de l’évaluer et de l’anticiper. Et les risques dits « de transition », c’est-à-dire les risques (pour les entreprises dépendant du cycle du carbone) et les opportunités (pour les entreprises « vertes ») engendrés par les politiques climatiques des Etats. Sur ce point, tout dépend évidemment de l’annonce crédible et de la mise en œuvre de politiques climatiques par les Etats. La finance n’a donc pas vraiment d’autonomie dans ce domaine : elle évoluera au rythme de ce que ces derniers feront pour lutter contre le réchauffement et ses effets.

Enfin, la stigmatisation publique des firmes du carbone par les ONG a peu chance de réussir à infléchir massivement leur comportement, car celles-ci sont gouvernées par les opportunités de profit. Sauf dans quelques cas emblématiques, en particulier quand le projet implique d’autres dégâts que l’effet de serre, comme des dévastations locales plus immédiatement perceptibles. Les entreprises « carbone », en particulier du pétrole et du gaz, se préparent désormais à la transition, après que la plupart en ont nié la nécessité. Mais les grandes firmes sont des paquebots qui virent lentement et n’aiment pas changer de métier et de culture, surtout pour aller vers des métiers moins profitables. Elles anticipent, mais elles attendent, là encore, d’être contraintes ou incitées à la transition par les Etats.

En matière de transition énergétique, on sait donc bien ce qu’il faut faire et comment les Etats doivent s’y prendre. Mais ils ne savent pas comment faire accepter ces mesures. En France, après les « bonnets rouges » et les « gilets jaunes », on ne peut plus s’aveugler sur leurs conditions d’acceptabilité politique : elles doivent réduire les inégalités de revenus et non pas les augmenter. Il faut offrir aux plus pauvres des solutions alternatives à prix équivalent, voire inférieur, si nécessaire en les subventionnant provisoirement. Tout début d’application de politiques climatiques sans prise en compte de leurs effets sur les inégalités risquera toujours d’être perçu par une partie de la population comme « la goutte qui fait déborder le vase ». Et par les entreprises comme prétexte pour ne pas bouger.

Pierre-Noël Giraud est professeur d’économie à Mines ParisTech et à l’université Mohammed VI Polytechnique (Maroc)

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