La Chine est-elle une menace ou une chance pour l'industrie européenne ?
La réponse à cette question n'est plus aussi évidente qu'on pouvait le penser avant le déclenchement de la crise. Sur plusieurs dossiers sociaux brûlants en France aujourd'hui, des contre-exemples montrent comment l'intervention d'investisseurs chinois a permis d'éviter des faillites.
Et de la Lorraine au Rhône-Alpes, ou de la Champagne à la Provence, la réalité incontournable de la puissance industrielle chinoise a également commencé à s'imposer aux PME françaises.
DIFFICULTÉS EUROPÉENNES ET STRATÉGIE CHINOISE
Menaces sur Florange contre maintien de l'activité à Duisburg (siège de la branche Tailored Blanks du sidérurgiste ThyssenKrupp) ; plan social chez PSA contre plan d'investissements chez Volvo ; risque de fermeture de la raffinerie de Petit-Couronne (Seine-Maritime) contre modernisation de celle de Lavera (Bouches-du-Rhône).
Derrière ces cas apparemment disparates, on trouve un point commun : chacun des acteurs qui a évité une sortie de route, malgré des situations de départ comparables, l'a dû à un investissement chinois. Geely acquéreur de Volvo en 2010 ; PetroChina investisseur à Lavera en 2011 ; Wuhan Steel repreneur de la filiale de ThyssenKrupp en 2012 : c'est chaque fois un industriel de l'Empire du Milieu qui a permis de relancer une activité menacée par les difficultés financières de son opérateur.
En moins de cinq ans, les groupes chinois sont en fait devenus incontournables pour l'évolution de l'industrie européenne. La crise de 2008 a marqué un tournant. Le modèle libéral et financier européen a exposé sa faiblesse, faisant de l'industrie européenne une proie potentielle. Et la puissance la mieux placée pour exploiter cette opportunité est la Chine.
Ses groupes, qui recherchent à la fois des savoir-faire mais aussi l'accès à de nouveaux marchés, se présentent en effet souvent comme les seuls repreneurs motivés par une stratégie industrielle, et capables d'investir.
LES PME ÉGALEMENT CONCERNÉES
Si les cas les plus visibles sont ceux de grands groupes, ils ne sont plus les seuls concernés par cette réalité. Le mois de février a vu la petite société savoyarde Lisa Airplanes, développeuse de l'avion de tourisme amphibie Akoya, reprise à la barre du tribunal de commerce par un groupe chinois.
Début avril, la société Sky Aircraft, fabricante en Meurthe-et-Moselle de l'appareil de transport léger Skylander, pourrait suivre le même chemin, puisque la seule offre de rachat à ce jour est chinoise.
Que peuvent attendre de ces nouveaux repreneurs des PME fragilisées par la crise ? Des cas précurseurs, récents mais déjà riches d'enseignements, donnent des indications sur les bénéfices possibles - et leurs limites.
Premier cas de reprise chinoise d'une PME industrielle française dans le cadre d'un redressement judiciaire, les Moteurs Baudouin ont vécu difficilement ce choc en 2009. Cependant, quatre ans plus tard, le succès semble au rendez-vous à Cassis (Bouches-du-Rhône), siège de l'entreprise.
Le repreneur, Weichai, lui-même un " poids lourd " des moteurs diesels en Chine, a en effet investi et embauché dans sa nouvelle tête de pont européenne. Non seulement Moteurs Baudouin a de nouveau rempli ses carnets de commandes, mais les autres acquisitions européennes de Weichai paraissent susceptibles de lui ouvrir de nouvelles perspectives.
Le contraste est poignant avec la situation de l'ex-usine McCormick France à Saint-Dizier (Haute-Marne). La reprise de cet établissement historique par YTO, un des principaux fabricants de tracteurs chinois, avait été perçue en 2011 comme une promesse de redémarrage. Mais deux ans plus tard, les chaînes de production annoncées tardent à apparaître. Et de sérieux doutes pèsent sur les intentions du repreneur, par-delà l'acquisition de technologies que l'opération lui aura permis.
LES LIMITES DU SAUVETAGE
Le contraste entre les deux situations tient à des configurations de départ très différentes. Lorsque Moteurs Baudouin se retrouve en redressement judiciaire en 2009, c'est uniquement à cause d'un problème d'actionnariat. L'entreprise a toujours un marché porteur en Europe, et l'argent amené par son repreneur chinois va lui donner les moyens de se relancer à sa conquête.
McCormick France est par contre mis en liquidation en 2010 par sa maison-mère, parce que le marché européen ne lui paraît plus suffisant pour soutenir son activité. Un malentendu va dès lors s'installer entre la partie française, qui espère un investissement pour relancer l'activité commerciale ; et un repreneur chinois qui ne relancera une production locale que s'il a des commandes européennes...
Ce qui motive la démarche d'investissements chinoise aujourd'hui, c'est à la fois l'acquisition de technologies et l'accès à un marché européen – à condition qu'il existe.
Il convient dès lors, pour les prochaines acquisitions, de s'interroger sur la localisation de leur marché potentiel, et les intentions stratégiques des investisseurs chinois, pour avoir des réponses sur leurs chances de maintenir une activité industrielle sur le sol français.
A moins de trouver une réponse en amont, à la question fondamentale : quelle politique est susceptible d'éviter que ces PME se retrouvent en procédure de liquidation, avec des repreneurs chinois pour seule alternative ?
Jean-François Dufour, DCA Chine-Analyse