« Face à la menace russe, l'OTAN ne peut pas se contenter du bouclier antimissile »

Avec l'apparente lenteur qui lui est coutumière, l'OTAN s'achemine vers une modification de sa posture à l'égard de la Russie. Celle-ci avait déjà évolué après le conflit russo-géorgien de 2008. Les signaux envoyés à Moscou s'étaient traduits par une réorientation des exercices militaires et des planifications vers le traitement des menaces continentales, mais sans changement de posture. La situation pourrait évoluer, le premier ministre britannique, David Cameron, ayant appelé l'OTAN à repenser sa relation avec la Russie et à la considérer comme un adversaire alors que le secrétaire général de l'OTAN, Fogh Anders Rasmussen, a évoqué la préparation de nouveaux plans de défense.

Repenser la relation militaire avec la Russie est cependant un exercice délicat, la plupart des budgets de défense européens s'étant effondrés et les Etats-Unis ne disposant ni des moyens ni de la volonté de redéployer des éléments lourds sur le Vieux Continent. De surcroît, si certains Etats membres, tels les Etats baltes, sont en situation de vulnérabilité face à la Russie – leur géographie les rendant difficilement défendables –, l'enjeu n'est pas tant de prévenir une invasion conventionnelle russe que de restaurer la confiance des alliés, notamment ceux d'Europe de l'Est, et de démontrer à la Russie que ses agissements en Ukraine auront des conséquences dommageables.

Ainsi, la défense antimissile est apparue comme un moyen de durcir la relation avec la Russie et de signifier aux Européens la volonté des Etats-Unis de rester impliqués dans l'Alliance. Depuis quelques mois, les députés républicains réclament un respect des engagements pris par les Etats-Unis conformément à leur participation à la défense antimissile de l'OTAN. Cette demande ne s'inscrit pas dans le cadre du traitement de la menace représentée par les Etats proliférants, mais dans celle représentée par la Russie.

L'accélération du programme national polonais est, lui aussi, lié à la menace russe, avec une évolution notable toutefois. Varsovie a en effet longtemps considéré sa participation à l'effort antimissile de l'OTAN comme un élément renforçant son lien avec les Etats-Unis et l'OTAN, garantissant ainsi sa sécurité face à la Russie. Elle considère désormais la défense antimissile également sous un angle opérationnel. L'accélération du programme national vise à accroître en urgence ses capacités militaires face aux systèmes balistiques courte portée russes.

Jusqu'alors, ni l'OTAN ni l'administration américaine n'ont envisagé de modifier leur posture et d'associer la défense antimissile à la prise en compte d'autres menaces que celles représentées par les Etats proliférants. Attitude sage s'il en est, puisque si depuis 2008, il ne fait de mystère pour personne que les capacités russes devraient être prises en compte, un changement officiel de posture eut signifié une rupture nette avec Moscou, alors même que l'ensemble de l'architecture est défini pour l'interception de missiles balistiques primitifs et peu nombreux. Mais en aucun cas pour celle de systèmes plus modernes, déployés en nombre croissant, sur des portées très courtes et stratégiquement peu significatives.

Or, si la crise ukrainienne pourrait être insuffisante pour justifier une modification de posture, les allégations américaines de violation par la Russie du traité sur les forces nucléaires intermédiaires pourraient finalement changer la donne. Elles obligeraient l'OTAN et l'administration Obama à définir la défense antimissile comme un système d'arme visant à traiter tout type de menace, proliférante ou non.

UNE MENACE RÉCIPROQUE

Il s'agit là d'une solution logique, facile mais dangereuse. Logique, car la Russie semble développer des systèmes (Iskander K, RS-26) qui semblent bien destinés à réaliser des frappes dans la profondeur du territoire européen, créant une menace contre des sites stratégiques qui doivent être protégés. Facile, car même si le changement de posture marquerait une rupture avec Moscou, la défense antimissile reste perçue comme non offensive et structurante, agrégeant les alliés autour d'un programme censé incarner leur engagement commun dans le renforcement de l'Alliance. Il offre un autre avantage, celui d'être peu onéreux puisque reposant sur une structure de commandement et de contrôle financée en commun au sein de l'OTAN et sur des contributions nationales dont chacun détermine souverainement l'ampleur.

Mais c'est une solution dangereuse car il est à craindre qu'elle reste dissociée de tout rééquilibrage offensif. Si l'OTAN doit modifier sa posture face à la Russie, c'est certes pour protéger les Etats membres mais surtout pour convaincre Moscou que son approche actuelle pourrait avoir des conséquences tangibles sur sa propre sécurité.

La seule modification de la posture antimissile de l'OTAN ne peut avoir un tel effet car elle ne menacera en rien les capacités stratégiques de la Russie. En effet, Moscou pourra y répondre par une accumulation de moyens que les budgets de défense européens ne peuvent espérer concurrencer. Un élargissement de l'actuelle mission de la défense antimissile exigerait que celle-ci s'intègre au sein de systèmes de frappe en profondeur. Cela permettrait d'exercer une menace réciproque sur la Russie, suivant une logique déjà appliquée par les Russes eux-mêmes mais que les Etats européens sont incapables d'appliquer. Dès lors, il existe un risque que les conditions de sécurité des Européens se dégradent sans impact notables sur celles de la Russie.

Sur le fond, la réponse à apporter à Moscou doit être programmatique et doctrinale. Elle ne peut être prise qu'en tenant compte des budgets limités et de l'absence manifeste de la majorité des Etats européens de se confronter avec la Russie. Elle n'implique pas tant de réarmer que de choisir avec quels systèmes il faut se réarmer, et donc l'acceptation ou non d'une confrontation politico-militaire avec elle. Ainsi, la défense antimissile est un complément critique mais en aucun cas une solution.

Par Stéphane Delory, Chargé d’études à la Fondation pour la recherche stratégique.

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