Face à la Pologne, l’UE est désormais dos au mur

C’était en septembre 2016, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, brisait un tabou bruxellois, reconnaissant devant les eurodéputés que l’Union européenne vivait une « crise existentielle », qu’elle était en danger de mort. Vote du Brexit au Royaume-Uni, crise migratoire, percées populistes, élections à haut risque aux Pays-Bas puis en France quelques mois plus tard… L’Union avait certes échappé à la sortie de la Grèce de la zone euro, mais jusqu’à présent si résiliente, elle était menacée d’effondrement si les gouvernements continuaient à la négliger ou la dénigrer au lieu de tenter de l’améliorer au bénéfice de la majorité de leurs citoyens.

En quelques mois, le ciel européen s’est brusquement dégagé. L’extrême droite néerlandaise a raté son pari de sortir en tête des législatives de mars 2017, les Français ont choisi un jeune président plein d’ambitions réformatrices pour l’Europe, qui a rendu à l’Hexagone son rôle de moteur de l’Union. La croissance s’est montrée plus dynamique qu’attendu, tandis que l’élection de Trump aux Etats-Unis et le choix des Britanniques de prendre le large ont ressoudé les Etats membres.

Pourtant, en ce tout début d’année, derrière l’optimisme de façade, la crise existentielle est toujours latente. Les dérives autoritaires du premier ministre hongrois Viktor Orban, chantre des démocraties « non libérales » et, plus récemment, les atteintes du gouvernement polonais à l’indépendance de sa justice, sapent les fondements d’une construction politique conçue après guerre comme une association volontaire de démocraties libérales.

Une procédure inédite

Après deux années de dialogue infructueux, la Commission s’est résolue le 20 décembre 2017 à recommander contre la Pologne le déclenchement de l’article 7 des traités, visant à corriger des violations graves et systématiques à l’Etat de droit, après l’adoption sous l’impulsion du parti Droit et Justice (PiS), de réformes mettant la justice, à tous ses niveaux, sous la coupe réglée du politique.

Totalement inédite, cette procédure peut aboutir à la privation des droits de vote du pays visé. Mais contrairement à l’article 50, la clause de retrait de l’Union activée par Londres en mars 2017, qui se révèle très efficace pour préserver les intérêts des Etats restants, l’article 7, lui, risque de rester inopérant dans le cas polonais. Pour parvenir à mettre le pays au ban de l’Union, un vote à l’unanimité des Etats est nécessaire. Or la Hongrie de Viktor Orban a rappelé fin décembre 2017 qu’elle soutiendrait Varsovie.

Frans Timmermans, le premier vice-président de la Commission en charge du « problème » polonais, est bien conscient des limites de l’article 7. C’est la raison pour laquelle il a retardé au maximum son usage, sachant qu’une fois la procédure activée, il ne disposerait plus d’autre recours dans le droit communautaire pour obliger Varsovie à rentrer dans le rang.

L’ex-ministre des affaires étrangères néerlandais a d’abord espéré qu’avec le temps, la perte d’influence de Varsovie à Bruxelles ferait chuter le PiS dans les sondages et qu’une alternance politique refermerait, lors des prochaines élections, l’épisode compliqué avec l’Union.

La Commission redoutait aussi d’alimenter le discours anti-Bruxelles du gouvernement polonais et des autres pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Slovaquie, République tchèque). Le calamiteux épisode autrichien, en 2000, l’a aussi rendue excessivement prudente. A l’époque, elle avait surréagi, en dehors de tout cadre légal, à l’arrivée pour la première fois dans un gouvernement de coalition du parti d’extrême droite FPÖ.

Plus question depuis, de condamner un gouvernement avant qu’il n’ait joint l’action réformatrice à la parole. Une attitude qui peut expliquer son relatif laxisme à l’égard des dérives hongroises et son apathie choquante face à la nouvelle coalition extrême droite-conservateurs à Vienne.

La Commission est désormais dos au mur : la Pologne ayant franchi toutes les lignes jaunes, elle se doit d’agir en temps que gardienne des traités. Mais de quoi aura-t-elle l’air quand la procédure sera stoppée par le veto hongrois ? D’une institution affaiblie, incapable se faire respecter.

Le chantage aux fonds structurels

L’UE est mal armée pour contraindre un pays membre à respecter ses valeurs fondatrices énumérées dans l’article 2 des traités (respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité…). L’article 7 a été introduit par le traité d’Amsterdam de 1997, dans la perspective de l’élargissement aux pays de l’Est, démocraties jugées encore fragiles. Mais à l’époque, pour les élites européennes, il était impensable que leurs majorités nationales choisissent de revenir à d’autres régimes que les démocraties libérales.

Les prochains mois risquent de durcir la confrontation avec Varsovie, alors que Bruxelles espère un accord sur les quotas de réfugiés d’ici à juin 2018. Une partie de l’Est, Pologne et Hongrie en tête, refuse obstinément d’accueillir des migrants. La crise migratoire de 2015 a aggravé la défiance de leurs citoyens aux valeurs « cosmopolites » de l’Ouest, jugées menaçantes, estime le politologue bulgare Ivan Krastev dans son dernier essai (Le Destin de l’Europe, Premier Parallèle, 2017).

Dernier recours pour faire plier Varsovie ? Le chantage aux fonds structurels. Le débat sur le futur cadre financier de l’Union (pour 2021-2027) démarre au printemps et Paris, Berlin et Bruxelles ont déjà prévenu qu’ils réclameront de conditionner l’octroi de la manne européenne au respect de l’Etat de droit. Mais ce chantage est difficile à manier, le budget de l’UE s’adoptant à l’unanimité.

Le président Macron a rappelé dans ses vœux sa volonté de réformer l’Europe, et qu’il la souhaitait « plus souveraine, plus unie, plus démocratique. » Angela Merkel étant encore occupée pour de longues semaines à former un gouvernement de coalition, c’est sur son leadership que Bruxelles compte pour sortir de l’impasse polonaise sans y perdre son âme.

Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen).

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