Face au choc du Partenariat transpacifique, l’Union européenne doit garder son cap

L’accord sur le Partenariat transpacifique, annoncé le lundi 5 octobre, est sans précédent par son ampleur, puisque les douze pays y prenant part comptent 800 millions d’habitants et produisent environ deux cinquièmes du produit intérieur brut (PIB) mondial.

L’aboutissement de cette négociation, épine dorsale de la politique commerciale américaine depuis déjà plusieurs années, représente sans conteste un succès politique et diplomatique pour Barack Obama. Mais que change-t-il pour les relations commerciales internationales, et quelles sont les conséquences potentielles pour l’Union européenne ?

Il faut d’abord remettre cette annonce dans son contexte. Beaucoup des parties prenantes sont déjà liées par des accords commerciaux, à commencer par l’Alena [accord de libre-échange nord-américain signé en 1994 entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique], ce qui diminue d’autant la portée réelle des concessions octroyées. Ensuite, les Etats-Unis ont claironné pendant des années qu’ils établissaient « l’étalon-or » des accords commerciaux du XXIe siècle, mais les derniers mois ont vu se succéder les crispations à propos des droits de douanes sur les importations de bœuf au Japon et d’automobile aux Etats-Unis, ou sur les contingents tarifaires appliqués par la Canada sur leurs importations de lait.

Rien là de bien nouveau. La dimension politique évidente de l’accord, utilisé par les Etats-Unis pour s’efforcer de contenir la puissance commerciale chinoise, n’est pas plus innovante, ni exemplaire. Il n’en reste pas moins que cet accord peut bouleverser durablement le paysage des politiques commerciales, pour deux raisons, liées à ses acteurs et à ses règles.

Incitatif

Même si beaucoup a été dit sur le déclin de la puissance américaine, les Etats-Unis restent le leader de l’économie mondiale. Qu’ils signent ainsi un accord de grande envergure, qui plus est incluant un partenaire aussi important que le Japon, ne manquera pas de susciter des réactions significatives de ses partenaires. La Chine, en particulier, y trouvera sans doute une incitation à accélérer les différentes négociations commerciales auxquelles elle prend part.

Comme le passé récent l’a bien montré, rien n’incite autant un pays à conclure des accords commerciaux que les accords conclus par ses concurrents.

La seconde raison est liée aux règles. Même si les marchandages d’accès au marché ont été au cœur des négociations récentes, l’accord conclu serait contraignant sur différents points. Du moins à en juger par les comptes rendus, puisque le texte de l’accord n’est pas encore disponible, ce qui illustre au passage le déficit de transparence de ces négociations.

Certaines de ces règles restent dans une logique de marchandage, voire d’accaparement de rentes. C’est en particulier le cas de celles concernant la période d’exclusivité des données sur les médicaments dits « biotechnologiques », sur lesquels les partenaires des Etats-Unis ont heureusement tenu bon face aux pressions éhontées des laboratoires américains, qui essayaient d’imposer des règles controversées aux Etats-Unis mêmes.

« Plan de cohérence » au Vietnam

On peut également citer les disciplines sur les entreprises d’Etat ou les marchés publics. D’autres sont d’une nature différente, portant notamment sur le droit du travail ou la défense de l’environnement. Peut-être plus significative encore est la volonté affichée de rendre ces règles effectivement opposables.

L’instauration d’un mécanisme de règlement des différends efficace, calqué sur celui de l’Organisation mondiale du commerce (un pays ne respectant pas ses engagements pourrait se voir retirer par ses partenaires le bénéfice d’avantages que lui procure l’accord, même s’il s’agit d’un domaine différent), fait déjà partie de différents accords bilatéraux, mais l’échelle du Partenariat transpacifique est susceptible de lui donner une dimension nouvelle.

Dans le cas du Vietnam, il est en outre assorti d’un « plan de cohérence » (« consistency plan »), par lequel le Vietnam s’engage sur l’existence d’un salaire minimum et sur la liberté syndicale, en acceptant que les Etats-Unis puissent ne pas le faire bénéficier des libéralisations prévues, voire lui appliquer des représailles commerciales, s’il ne tenait pas ses engagements.

La portée réelle de ces dispositions ne sera connue que lorsque le détail en sera dévoilé, et surtout lorsque le recul permettra d’observer leur mise en pratique. Mais le principe en lui-même représente un changement de nature, donnant une dimension nouvelle à la menace que les accords régionaux représentent pour le système commercial multilatéral.

Sprint improbable

Des conséquences bénéfiques en termes de gouvernance sont possibles, mais le risque de balkanisation du commerce mondial s’en trouve sensiblement aggravé. Quelles leçons l’Union européenne doit-elle en tirer ? En faisant peser la menace d’une concurrence accrue sur les exportateurs européens et en dédramatisant les conséquences d’un échec pour les Etats-Unis, cet accord renforce la position de ces derniers dans la négociation transatlantique.

Faut-il pour autant accélérer la négociation en cours, comme plusieurs voix l’ont suggéré ces derniers jours ? À mon sens, ce serait une erreur. Les enjeux du Partenariat transatlantique sont trop grands pour être expédiés à la hâte, or c’est la seule option possible désormais : les responsables américains seront encore très occupés à essayer de faire ratifier le Partenariat transpacifique au cours de prochains mois, et la campagne présidentielle va bientôt faire peser une chape de plomb sur les positions politiques américaines dans les négociations. Vouloir conclure sous l’administration Obama serait se condamner à un sprint improbable, dont le résultat ne pourrait être qu’un accord bâclé, qui a peu de chances d’être favorable pour les Européens.

La portée du Partenariat transpacifique, dans un monde marqué par le fractionnement international des chaînes de valeur, est difficile à anticiper. Mais il concerne pour l’essentiel des marchés assez distants, les concessions commerciales qu’il accorde sont pour la plupart d’une ampleur limitée, et les périodes de transition sont très longues pour les produits les plus sensibles. En outre, les engagements concernant les aspects réglementaires ne semblent pas avoir une grande portée.

La dégradation de la position concurrentielle des exportateurs européens devrait donc rester limitée. D’autant que l’Union européenne a déjà un accord avec deux des partenaires impliqués et négocie avec sept autres. Face à l’onde de choc du Partenariat transpacifique, l’Union européenne ne doit pas céder à la précipitation mais prendre le temps d’en tirer les enseignements et de poursuivre ses propres objectifs de politique commerciale, dont la reformulation est en cours.

Sébastien Jean (Directeur au Centre d’études prospectives et d’informations internationales, Cepii)

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