Facebook n’assume pas son statut d’éditeur culturel

La censure par Facebook d’une photographie éminemment célèbre prise lors de la guerre du Vietnam surprend et choque. Il faut être choqué, il ne faut pas être surpris.

En premier lieu, cette censure est prévisible, terriblement prévisible. Ce n’est pas la première fois. Ce ne sera pas la dernière. Le réseau social, victime de son succès, confie davantage de modération à des algorithmes automatiques. C’est d’ailleurs son principal argument de défense : « Si nous reconnaissons que cette photo est iconique, il est difficile de faire une distinction et d’autoriser la photo d’un enfant nu dans un cas et pas dans d’autres. »

La société fondée par Marc Zuckerberg a pris un poids important dans la vie de ses utilisateurs, dans notre vie collective tout court, qui en fait l’un des nouveaux intermédiaires quasi monopolistiques de nos expériences culturelles en ligne. Nos rencontres avec la musique, la vidéo, l’image et, bien sûr, l’information sont désormais organisées et régulées par quelques plates-formes numériques, au premier rang desquelles Facebook.

Internet a aboli l’édition et la production culturelles du monde réel. Mais mécaniquement, parce que l’immensité de l’offre culturelle d’Internet appelait une hiérarchisation des œuvres, de nouveaux éditeurs sont nés, ils s’appellent Facebook, YouTube ou Netflix, par le biais d’algorithmes eux-mêmes calés sur le goût du plus grand nombre.

Réponse politique

Et pourtant, malgré son acte de censure, Facebook n’assume pas son statut d’éditeur culturel. Le déni s’abrite sous des arguments techniques. Le filtrage du réseau social est à peine avoué ; l’entreprise a parlé d’« erreur » – elle a rétabli l’autorisation de publier la photo incriminée –, mais a martelé sa neutralité.

M. Zuckerberg a ainsi soutenu que son entreprise était d’abord une société de technologie et non un éditeur de contenus. C’est faux. Facebook, comme d’autres géants de l’Internet mondial, édite ce que nous lisons, regardons, partageons : le réseau social filtre, organise, met en valeur et exclut. Et c’est bien pour cela que notre réponse doit être politique.

L’un des piliers de la lente construction de la politique culturelle française a été la régulation des risques d’exclusion et de censure. Parmi nos objectifs depuis André Malraux, nous cherchons à garantir que la diversité culturelle et la création ne se heurtent pas aux murs d’une édition sélective, n’impose pas une grille de valeurs morales et ne se plie pas aux intérêts financiers de quelques-uns.

Par conséquent, la question qui suit cette censure « automatique » de Facebook est politique : qui contrôle Facebook ? Qui vérifie, et, le cas échéant, sanctionne le filtrage de nos expériences par le géant américain ? Personne.

Au-dessus des lois

Les diffuseurs traditionnels sont soumis à toutes sortes de règles et de contrôles. En France, on connaît par exemple le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Mais les géants américains qui tiennent dans leurs mains l’édition d’Internet, les Google, Apple, Facebook, Amazon (GAFA), restent au-dessus de ces lois.

Facebook a réagi cette fois-ci grâce à une mobilisation publique forte et immédiate : l’interpellation par un premier ministre, relayée par des journaux locaux et étrangers – ceux-là mêmes dont Facebook aimerait « absorber » la crème des articles dans son application « Instant Articles ».

Mais ce n’est pas qu’une petite retraite dans une entreprise bien plus vaste de cadrage de nos goûts et de notre imagination culturelle. Cette affaire n’est pas un simple dérapage, une erreur « technique », une gaffe algorithmique. Elle soulève brutalement la question primordiale de la politique culturelle à l’heure du tout-numérique.

Après vingt ans d’arrêt, nous devons repenser intégralement les moyens de notre politique culturelle, si nous voulons que les photos iconiques des guerres du XXe siècle soient toujours une partie de notre patrimoine dans les années qui viennent.

Par Manuel Alduy (ancien directeur du cinéma de Canal+ et senior vice-président Sales and Development, 20th Century Fox Television Distribution France) et Karine Berger (députée socialiste des Hautes-Alpes et membre de la commission des finances à l’Assemblée nationale)

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