Faim dans la Corne de l’Afrique : cessons d’accepter lâchement l’intolérable

En Afrique de l’Est, dans une indifférence quasi générale, des cohortes d’enfants, d’hommes et de femmes, le visage creusé par la souffrance et la faim, fuient leurs villages et leurs terres rendues invivables par la sécheresse. Nombre d’entre eux, les enfants en particulier, sont atteints de malnutrition aiguë sévère, ce qui peut les conduire à la mort si l’on ne fait rien. La famine est ainsi déclarée au Soudan du Sud, des crises alimentaires extrêmement graves sont en cours au Nigeria, en Somalie, au Yémen et menacent désormais 20 millions de personnes.

Au milieu des années 80, les images de l’Ethiopie éveillaient le monde qui prenait conscience du caractère intolérable de la faim et du rôle central joué par l’homme dans ce fléau, que l’on présente trop souvent comme naturel alors qu’il est évitable. Pourtant, trente ans plus tard, sur les terres asséchées d’Afrique de l’Est, rien ne semble avoir changé. A l’échelle de la planète, 800 millions d’individus souffrent en permanence de la faim et un enfant en meurt toutes les 30 secondes.

Les causes de ce drame sont multiples et complexes. Elles révèlent une première réalité : la plupart des enfants qui meurent de faim vivent dans des pays en développement, voire émergents comme l’Inde, où l’économie laisse dans l’extrême pauvreté des millions de personnes. Ces dernières sont les premières victimes de l’accroissement des inégalités sociales et d’une mauvaise répartition des richesses au niveau mondial. En 2015, le patrimoine cumulé des 1 % les plus riches du monde a ainsi dépassé celui des 99 % restants, tandis que nous produisons aujourd’hui suffisamment pour nourrir 12 milliards de personnes.

Droit humanitaire bafoué

De surcroît, certains Etats, dont des Etats dits «fragiles», n’exercent pas leurs prérogatives internes et se révèlent incapables de garantir à leurs populations un accès aux services de bases et de développer des politiques publiques vertueuses et pérennes. Dans un tel contexte, marqué par une gouvernance dysfonctionnelle, et quelques fois, par une instrumentalisation politique de la faim, les plus touchés sont toujours les plus vulnérables.

La faim est, en outre, étroitement liée aux conflits. Au Soudan du Sud, au Nigeria, en Somalie et au Yémen, un conflit est en cours. En pareil cas, la faim l’emporte, les civils devenant transparents face aux enjeux du combat. Le droit de ces populations et le droit international humanitaire ne sont, le plus souvent, pas respectés. Or, eux seuls permettent de limiter les dommages nutritionnels d’un conflit. Eux seuls permettent aux populations d’avoir accès à leurs besoins de base, et en dernier recours, aux humanitaires d’avoir accès à ces personnes pour leur apporter le minimum nécessaire à leur survie : à boire, à manger, et un environnement sain qui évite la propagation de maladies, comme le choléra, endémique et de retour en Somalie et au Yémen.

Enfin, s’ajoute à ces causes profondes de la faim, le changement climatique qui entraînera des millions d’individus supplémentaires dans la détresse si l’on n’agit pas. Dans la Corne de l’Afrique, le changement climatique se matérialise par une sécheresse provoquant la mort du bétail, par l’impossibilité de récolter ce que l’on a semé, et in fine, par l’impossibilité de boire et de manger.

Vers une agro-écologie

Ce tableau est noir et semble décrire une situation perdue, insurmontable. Pourtant si l’on aborde la problématique de la faim avec pragmatisme et volonté, l’on remarque qu’à chacun de ces problèmes existe une solution dont les hommes peuvent et doivent se saisir. Si l’on cesse d’être lâchement résigné à accepter l’intolérable, si l’on se mobilise collectivement de manière citoyenne, coordonnée et massive, si les acteurs politiques et les opinions internationales prennent conscience que la faim est une ignominie et que détourner le regard est un crime, alors nous pourrons combattre efficacement ce fléau.

Il appartient aux hommes de mettre fin aux conflits, de faire respecter les règles de la guerre et le droit des populations civiles. Il appartient aux hommes de lutter contre les inégalités sociales, d’éradiquer la pauvreté, de renforcer les systèmes de santé, de promouvoir une agriculture responsable fondée sur l’agro-écologie et l’agriculture familiale et d’améliorer nos systèmes de gouvernance. Il nous appartient, individuellement et collectivement, d’être acteurs de notre monde et non passifs face à des processus que l’on fait croire naturels alors qu’ils sont avant tout sociaux, économiques et politiques.

Action contre la Faim, avec d’autres, crie à la future catastrophe, interpelle les politiques, demande des actions urgentes qui sauveront des centaines de milliers de vies. N’oublions jamais que 250 000 personnes sont mortes lors de la dernière famine en 2011 en Somalie. Trop peu de monde s’intéresse, écoute et surtout s’engage sur ces solutions. Pourtant, avec l’abnégation de ceux qui croient en l’avenir, il est possible, si on le décide, si l’on suit les engagements des Etats dans les Objectifs de Développement Durable portés par l'ONU, de mettre un terme à la faim.

Thomas Ribemont, président d’Action contre la Faim.

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