Faites entrer les ci-devant Sykes et Picot

Unité de l’armée irakienne en route pour combattre les forces de l’organisation Etat islamique. La guerre en Syrie et en Irak sonnerait la fin des Accords Sykes-Picot, estiment certains observateurs. Hawija, octobre 2017. © AHMAD AL-RUBAYE / AFP PHOTO
Unité de l’armée irakienne en route pour combattre les forces de l’organisation Etat islamique. La guerre en Syrie et en Irak sonnerait la fin des Accords Sykes-Picot, estiment certains observateurs. Hawija, octobre 2017. © AHMAD AL-RUBAYE / AFP PHOTO

Selon une doxa solidement ancrée au péché originel d’impérialisme inhérent à toute menée militaire extérieure, MM. Sykes et Picot seraient à l’origine de nos maux les plus délétères depuis un siècle. Leur crime: avoir couché sur papier en 1916 un projet de partage des territoires ottomans du Moyen-Orient arabe entre deux acteurs majeurs de la victoire sur les puissances centrales dans la Grande Guerre. Et donc d’avoir vicié, ab initio, de futures bonnes relations entre l’Orient et l’Occident, l’islam et la chrétienté, les Anciens et les Modernes.

On ne saurait surestimer le legs de l’accord scellé entre la Grande-Bretagne et la France, le 16 mai 1916, selon ces Cassandre. Le propos mérite qu’on s’y attarde. Fin 1914, Petrograd, Paris et Londres déclaraient la guerre à Constantinople après le ralliement de la Turquie à la coalition des Empires centraux salué par le bombardement des côtes russes de la mer Noire par une flotte germano-turque. Avec, entre autres conséquences, l’incorporation impérative par le Royaume-Uni à la cause des Alliés de Chypre et de l’Egypte, formellement ottomanes, dans lesquelles musulmans, chrétiens et juifs cohabiteront longtemps encore.

Anciennes colonies de la Sublime Porte

De fait, les vastes étendues d’un sous-continent arabe de l’océan Indien à la Méditerranée constituaient depuis plusieurs siècles des colonies de la Sublime Porte, sous le sabre et le turban du sultan et calife de Constantinople. L’ouverture par les Alliés d’un nouveau front à l’est, serpentant des Balkans et du Caucase au Levant, suit dès lors les lois de la guerre. Même si elle achoppera sur le hâtif raccourci historique qualifiant l’Empire ottoman «d’homme malade de l’Europe», que le désastre des Alliés en 1915 devant Gallipoli enverra par le fond.

1916 sonne l’offensive allemande massive sur Verdun et le début de la fin du front russe, qui circonscrivent le contexte militaire de l’Accord Sykes-Picot. Londres y revient sur sa promesse de Grand Royaume arabe dans la correspondance en 1915-1916 de Sir Henry McMahon, premier haut-commissaire en Egypte, avec le chérif Hussein de la famille des Beni-Hachem, descendants du Prophète et gardiens de La Mecque.

Le chérif Hussein, l’homme, sans doute le plus avisé d’Orient, aurait-il acquis, par correspondance et de bonne foi, d’un proconsul anglais des territoires embrassant La Mecque et Jérusalem, soit peu ou prou la distance d’Ajaccio au sphinx? Est-il à l’affût d’une alliance avec le Royaume-Uni parce qu’une nouvelle dynastie, sous le sceptre d’Ibn Seoud, cherchait au même moment à le chasser de La Mecque? Il faudra toute la sagesse du plus grand penseur politique et stratège de la guerre du désert de son temps, Lawrence d’Arabie, pour galvaniser, à dos de chameau ou dans sa Rolls-Royce Blue Mist de service, les tribus arabes et réussir la jointure des généraux Maud et Allenby avec les princes Abdallah et Fayçal, fils du chérif Hussein.

Responsabilités bien actuelles

Les Accords Sykes-Picot dévideront, en réalité, un fil qui court jusqu’au Traité de Lausanne de 1923. Dans un premier temps, la Couronne britannique se rend aux arguments de Lawrence, qui introduit à la Conférence de la paix à Paris l’émir Fayçal et lui livre Damas eu égard au rôle déterminant des cavaliers bédouins dans la victoire. Que la France devra prendre par la force. Clemenceau obtiendra, lors d’une conférence secrète du Conseil suprême allié, la confirmation de la cession de mandats sur le Liban et la Syrie. Londres résigné, se rangeant au rôle majeur joué par les généralissimes Foch à l’ouest et Franchet d’Esperey à l’est, commandants en chef des armées alliées, dans la victoire.

Le Traité de Sèvres de 1920 parrainera in fine la naissance de deux royaumes, l’Irak de Fayçal et la Transjordanie d’Abdallah, excusez du peu, côtoyant les deux régimes républicains du Liban et de la Syrie, simple détail. La Palestine étant confiée aux bons soins de la Grande-Bretagne. Pour mémoire, son article 88 reconnaît l’Arménie comme un Etat libre et indépendant et son article 64 définit le processus d’indépendance des Kurdes sous l’égide de la SDN. Qui ne mènera à terme que le prototype d’épuration ethnique entre la Grèce et la Turquie décrété par le Traité de Lausanne de 1923, imposant l’échange de plus de deux millions de femmes et d’hommes de vieille souche entre les deux pays.

Soyons justes, c’était il y a un siècle. Les responsables au premier degré des atrocités qui se multiplient et défient les hommes de bonne volonté sont nos contemporains. Leurs noms circulent dans le nuage.

Georges Assima, historien.

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