Faute d’un accord de retrait entre le Royaume-Uni et l’Union, le “Bremain” pourrait s’imposer

« Le Premier ministre du Royaume-Uni a informé le Conseil européen du résultat du référendum qui a eu lieu au Royaume-Uni ». Laconique, le point 23 des conclusions du Conseil européen du 28 juin 2016 est juridiquement éloquent. D’une part, le Premier ministre britannique David Cameron n’a pas notifié la décision du Royaume-Uni de se retirer de l’Union, conformément à l’article 50 du Traité sur l’Union européenne (TUE). D’autre part, aucune négociation ne sera engagée préalablement à cette notification. Le doute s’installe dès lors… Et si, finalement, le Brexit n’avait pas lieu et que le Bremain l’emportait ? Si la réponse est éminemment politique, encore faut-il apprécier la faisabilité juridique d’un non retrait.

L’article 50 du TUE constitue la seule base juridique pour un retrait de l’Union. Il dispose que « L’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen ». Cette notification déclenche un délai de deux ans à l’expiration duquel, faute d’accord de retrait entre le « futur-ex Etat membre » et l’Union, les traités de l’Union européenne cessent de lui être applicables. Ce délai est pour le moins dissuasif, car il soumet l’Etat « partant » au risque d’une rupture sèche en cas d’échec des négociations ; faute d’accord de retrait, l’ex-Etat membre devient un pays « tiers », sans aucun lien juridique avec l’Union. Les relations du Royaume-Uni avec l’Union seraient bien plus similaires à celles entretenues avec la Corée du Nord qu’avec la Suisse…

Indispensable notification de sortie

Aussi la notification est-elle cardinale ! Pour certains, elle aurait déjà eu lieu, se matérialisant par les déclarations du premier ministre britannique, voire du seul fait des résultats du référendum. Pour d’autres, l’accord obtenu au Conseil européen par David Cameron en février 2016, portant « nouvel arrangement » pour le Royaume-Uni dans l’Union européenne, vaudrait notification « en avance ». L’entrée en vigueur de cet arrangement étant conditionnée par la notification, par le Royaume-Uni de son intention de rester dans l’Union, le silence post-référendum voudrait alors… retrait ! En droit, tout cela ne tient pas. D’une part, ledit arrangement ne devait entrer en vigueur qu’en cas de victoire du « Remain » ; il est désormais caduc ainsi que les présidents des institutions de l’Union l’ont déclaré le 24 juin. D’autre part, l’article 50 du TUE exige une notification en bonne et due forme : une décision aussi grave, bien que dénuée de formalisme, doit être expresse, claire et sans équivoque.

Le droit de l’Union européenne n’oblige pas davantage le gouvernement britannique à sortir de l’ambiguïté. Certes, en vertu du principe dit de « coopération loyale », posé à l’article 4 § 3 du TUE, « les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union ». Il pourrait alors être argué que le silence gardé par le Royaume-Uni « met en péril » la réalisation des objectifs de l’Union en laissant planer une incertitude préjudiciable à l’Union et à ses États membres. Il est cependant loin d’être certain que l’on puisse faire produire à cette disposition une telle interférence dans un choix que l’article 50 laisse à la discrétion d’un Etat membre. Ce serait à la Cour de justice, saisie par la Commission, d’en décider, mais alors seulement au terme d’une procédure assurément trop longue et à l’issue bien incertaine.

Obstacles juridiques

Le droit britannique impose-t-il au gouvernement de notifier ? Purement consultatif, le référendum du 23 juin ne lie pas le gouvernement. Mieux ou pire, selon les points de vue, il pourrait exister des obstacles juridiques à une telle notification. Tout d’abord, selon certains juristes (il n’y a cependant pas unanimité), une telle décision ne peut être prise sans l’accord du Parlement. Or, la majorité de la chambre des Communes est favorable au « Remain ». Considérer que l’expression d’une volonté « directe » du peuple s’impose à ceux qui ne sont que ses représentants serait ici méconnaître un principe cardinal du droit britannique : la souveraineté du Parlement. En cas de « veto » parlementaire, il faudrait convoquer de nouvelles élections et si celles-ci venaient à consacrer une majorité nettement pro-Bremain, il reviendrait au (futur) gouvernement la délicate tâche d’arbitrer entre deux expressions contradictoires de la volonté du peuple.

S’y ajoutent les règles de « dévolution », qui donnent une forte autonomie aux institutions des « Nations » composant le Royaume-Uni, en particulier l’Irlande du Nord et l’Écosse, favorables au « Bremain ». Si l’Irlande du Nord est bien démunie, le Parlement écossais peut tout au plus s’opposer aux modifications législatives nécessaires pour priver d’effet le droit de l’Union sur le territoire écossais, voire britannique. La menace d’un tel « veto indirect » risque fort d’être brandie pour convoquer un nouveau référendum d’indépendance de l’Écosse.

Quid dès lors de l’hypothèse, certes alambiquée, d’un « Groenland inversé ». En 1985, les États membres avaient modifié les traités pour qu’ils cessent de s’appliquer au Groenland, partie du Danemark. Si l’on procédait « à l’envers », au lieu de ne plus s’appliquer à une région périphérique, ce serait cette fois à la « région centrale » (Angleterre et Pays de Galles) que les traités cesseraient de s’appliquer. En tant qu’Etat, le Royaume-Uni, resterait membre de l’Union, évitant d’activer l’article 50. D’une complexité inextricable, une telle solution ne satisferait personne, mais elle en dit long sur l’inventivité juridique dont sont capables les juristes outre-manche.

Il existe donc une série de « haies » juridiques qui sépare encore le Royaume-Uni de l’activation de la procédure de retrait. Si elles ne sont pas infranchissables, ces haies peuvent servir ceux qui voudraient revenir sur la décision du peuple. Espoir pragmatique pour les uns, crainte théorique pour les autres, le « de-Brexit » renvoie à l’éternelle question des affres et vertus de la démocratie directe.

Sébastien Platon est professeur de droit public à l’université de Bordeaux et Francesco Martucci, professeur de droit de l’Union européenne à l’université Panthéon-Assas.

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