Fêlures hexagonales à l’aune du Brexit

Les Britanniques sont encore sous le choc du Brexit. Ce plongeon dans l’inconnu à la suite du référendum du 23 juin 2016 les préoccupe énormément. Ils ne parlent que de ça et sont donc plutôt tournés sur eux-mêmes. La majorité n’a qu’une vague idée du déroulement de l’élection présidentielle en France. Mais la classe dirigeante est interpellée au plus haut point. En effet, la France est un pays qui a du poids dans l’Union européenne. Le candidat qui sortira vainqueur des urnes aura une influence sur la manière dont le Royaume-Uni va sortir de l’Europe. Un gouvernement de droite sera-t-il plus favorable à un «soft» Brexit qu’un gouvernement de gauche ? On sait déjà que François Hollande s’est plutôt rangé du côté d’Angela Merkel, la chancelière allemande qui, elle, penche pour un «harsh» Brexit afin d’arrêter net toute contagion au sein de l’UE. Quel sera le prix de la séparation ?

Les Britanniques savent aujourd’hui qu’en politique, tout peut arriver. Jusqu’au dernier moment, les sondages prévoyaient le maintien du Royaume-Uni dans l’Europe. Beaucoup de mécontents disent que la campagne a été étayée de mensonges et d’informations erronées comme le bus qui a circulé dans tout le pays avec cette prétendue promesse que si le pays quittait la communauté européenne, des centaines de millions de livres sterling allaient être reversées dans le système de santé public, le National Health Service, qui connaît une crise financière énorme. Mais on a découvert après le référendum que cette affirmation n’avait aucun fondement. Ils ajoutent que le résultat du référendum s’est joué à coup de slogans. Et il faut bien l’avouer, celui des «Brexiters» était bien trouvé : Independence Day. Reprendre sa liberté ! S’envoler du nid et saisir son destin. Un autre fait a influencé la décision du peuple britannique. La reine Elizabeth II d’Angleterre a fêté ses 60 ans de règne en grande pompe. Le jubilé de diamant s’est étalé sur plusieurs jours et a insufflé dans le royaume une bonne dose de nationalisme.

Au niveau des hommes politiques, Boris Johnson, l’ex-maire de Londres, pro-Brexit, et Nigel Farage, l’ex-leader du UK Independence Party (Ukip), populiste et réactionnaire, ont capturé les médias grâce à leurs personnalités exubérantes et à leur franc-parler. Ils n’ont pas hésité à aller faire campagne auprès de la classe ouvrière, tandis que les pro-Europe étaient plus mous et croyaient trouver un soutien auprès de grandes institutions comme le FMI, lesquelles annonçaient une catastrophe économique en cas de sortie de l’Europe.

En fait, de l’autre côté de la Manche, la Grande-Bretagne regarde si la France va pouvoir éviter son plus grand écueil : avoir sous-estimé le degré de frustration de la majorité de la population et, en particulier, de la classe prolétaire pour laquelle le projet européen ne fonctionne plus car il incarne les effets négatifs de la mondialisation. Opportunités pour la classe supérieure, les bureaucrates et la grande finance, mais que des miettes pour les gens ordinaires qui font face aux difficultés quotidiennes des services sociaux, ainsi que les conséquences d’une gestion inadéquate des problèmes de l’immigration. Prises de positions confuses, manque de transparence et de vision à long terme. Avec comme résultat la peur et le repli identitaire, sans parler de la menace terroriste qui complique la donne.

Mais il n’y a pas que les Angry White Men - les hommes blancs en colère - qui ont prononcé le divorce. Toute une tranche de la population plutôt progressive a aussi voulu couper les ponts. Des jeunes comme mon fils, la chair de ma chair, grand voyageur ayant vécu dans plusieurs pays d’Europe et d’Afrique, entrepreneur en herbe qui a monté sa propre start-up avec deux amis, a aussi voté pour le Brexit ! Pourquoi ? Parce qu’il pense qu’être européen ne veut pas nécessairement dire être ouvert d’esprit. L’Europe ne devrait pas s’entourer de murs et limiter les échanges à l’intérieur de la communauté. Bruxelles pèse trop lourd sur les décisions nationales. Est-il temps de mettre l’accent sur le local par opposition au global ? De consolider les acquis et aider les peuples à retrouver un équilibre avant d’aller plus loin ? Pour lui, quelque chose d’essentiel s’est brisé : «Je ne veux pas que la société se radicalise et que la frustration pousse les gens à voter pour des partis extrémistes tels que Ukip en Angleterre ou le FN en France. Il faut répondre aux angoisses avant qu’elles ne prennent des proportions ingérables.» Paradoxalement, pour lui, le Brexit a été le moyen d’éviter la cassure sociale.

Pour le moment, la classe politique britannique s’en sort assez bien. Après la claque du non et la démission de nombreuses personnalités dont David Cameron, l’ex-Premier ministre, il n’est pas question de remettre en question le choix démocratique. Mais les Britanniques ne sont pas sortis de l’auberge. Ainsi, de l’autre côté de la Manche, on semble vouloir dire à l’élite politique actuelle en France attention à ne pas vous brûler les doigts. De nos jours, la victoire ne s’obtient pas seulement au niveau des programmes et des grandes idées, mais aussi ailleurs, là où les faits objectifs sont devenus moins importants que les croyances personnelles et les réactions émotionnelles.

Véronique Tadjo, ecrivaine et universitaire. Après avoir vécu pendant quatorze ans en Afrique du Sud, elle partage à présent son temps entre Londres et Abidjan

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