Finance privée et entreprises doivent contribuer à la protection des océans

Paradoxalement, les océans n’ont jamais autant suscité l’attention des décideurs et du grand public, alors qu’on manque cruellement de moyens financiers et techniques pour endiguer la rapide dégradation des écosystèmes côtiers et la perte de leur biodiversité. L’aide publique et le mécénat sont les principaux bailleurs de fonds, mais le compte n’y est pas : entre 3 et 7 milliards d’euros sont nécessaires pour protéger ne serait-ce que 10 % de la surface des océans ! Les besoins en financement dépassent largement les moyens alloués, qui s’élèvent à quelques centaines de millions d’euros par an seulement.

Alors, peut-on attendre de la générosité des citoyens qu’ils comblent ce déficit pour la préservation des océans ? La finance privée et les entreprises doivent également contribuer à cet effort, car ils bénéficient eux aussi des immenses services rendus par les océans.

Trois mécanismes destinés à trois types d’acteurs ayant un rôle-clé à jouer dans la préservation des océans annoncent ce changement.

Des projets hybrides sont envisageables

Les écosystèmes marins constituent d’abord pour les opérateurs touristiques et les communautés littorales des « infrastructures bleues » garantes de leur sécurité et de la résistance des activités économiques en cas d’aléas climatiques extrêmes. L’exemple des mangroves protégeant le littoral indonésien lors du tsunami de 2004 ou des récifs coralliens réduisant 90 % de la force des vagues en attestent.

Lorsque ces aléas surviennent, la restauration de ces écosystèmes requiert d’importants moyens financiers. Les assurances sont toutes désignées pour couvrir ces besoins d’urgence. La compagnie Swiss Re expérimente ainsi une assurance pour le récif corallien et les plages de la côte mexicaine. Cette assurance est financée en partie par les hôteliers de la côte. Elle est déclenchée au-dessus d’une certaine vitesse de vent lors d’un cyclone et permet d’accéder rapidement à un capital important pour la restauration. Cette initiative préfigure tout un nouveau pan d’intervention pour le monde de l’assurance, lié aux « solutions fondées sur la nature » pour l’adaptation au changement climatique.

De même, les porteurs de projets environnementaux disposent depuis une douzaine d’années d’un outil financier spécifique, « l’investissement à impact social » (impact investing, en anglais), lancé à l’initiative de quelques investisseurs engagés (Bain Capital, BlackRock, Credit Suisse, Goldman Sachs et JPMorgan Chase). Son objectif est de générer un retour sur investissement à la fois financier, environnemental et sociétal. Toutefois, ce nouvel instrument peine encore à concilier attentes des financeurs et besoins pour la protection des océans. L’investissement à impact environnemental est encore en gestation, car les programmes de préservation des océans sont souvent risqués et ont une faible rentabilité, ce qui fait fuir tout financeur classique ! Et peu de projets émergent.

Pour progresser, les investisseurs doivent s’efforcer de réviser leur politique d’investissement en abaissant leurs attentes de profitabilité et en consolidant leurs engagements en faveur des océans. Pour susciter l’intérêt des investisseurs, les acteurs de la conservation doivent de leur côté chercher à composer avec leurs attentes et construire des modèles économiques qui allient démarche entrepreneuriale et impacts environnementaux.

Des projets hybrides sont envisageables, qui soient à la fois rentables et permettent de réduire les pressions environnementales (assainissement des eaux usées, gestion des déchets solides, pêche durable) tout en générant un effet d’entraînement afin de financer les actions de protection (par des retenues sur crédit ou par les intérêts de capitalisation).

Enfin, à l’échelle des pays, des montages financiers complexes permettent à des Etats comme les Seychelles de remettre l’environnement marin au cœur de leur stratégie de développement. Le pays s’est ainsi engagé depuis plusieurs années dans la protection des océans, et une partie de sa dette souveraine auprès du Club de Paris a été rachetée par l’organisation non gouvernementale (ONG) américaine The Nature Conservancy. L’ONG coordonne les actions de protection par l’intermédiaire d’un fonds fiduciaire réservé. Cette initiative, une première pour les océans, montre l’intérêt de repenser les dettes souveraines comme des leviers de transition en faveur des océans.

Nouvelle ingénierie financière à impact environnemental

Ces exemples anticipent une nouvelle forme d’ingénierie financière à impact environnemental. Pour autant, la mobilisation de ces fonds est une condition nécessaire mais non suffisante. Le financement seul ne suffira pas à protéger les océans. Les acteurs de la conservation marine doivent être en mesure d’absorber ces fonds et de les traduire en protection efficace.

La culture de la conservation peut gagner à mieux intégrer les méthodes et les modes de pensée des entreprises, pour optimiser la gestion des ressources, la planification financière et la construction de partenariats. L’économie sociale (social business) a déjà amorcé cette transition ; l’environnement doit lui emboîter le pas en bousculant les circuits de financement classiques. L’urgence climatique et environnementale l’exige.

Par Thomas Binet (Economiste et fondateur du cabinet Vertigo Lab, spécialisé dans l’économie de la transition écologique).

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *