Fixons à 2050 la réduction de 50 % des émissions de CO2

Que la conférence de Copenhague recherche des accords applicables dès maintenant et avec un horizon d'engagement ferme est naturel : l'urgence climatique appelle à ne pas différer l'action. Le long terme n'est pas sur la table. Chacun a le sentiment que, compte tenu de l'incertitude croissante, de l'horizon des Etats démocratiques, voire de la versatilité des opinions publiques, des engagements longs ne pourraient que rester flous. Ce qui les rendrait sans doute plus faciles à obtenir mais peu crédibles. Plus faciles, mais inutiles, plus faciles parce qu'inutiles. Exit donc le long terme.

Il est vrai qu'il vaut mieux des engagements modestes mais certains sur le court terme qu'un engagement vague de réductions drastiques à l'horizon de 2050. Nous voudrions cependant plaider ici pour ancrer tout accord à court terme sur une vision partagée à long terme. Le long terme est tout à la fois l'horizon des enjeux de la politique climatique et celui de la maturation des nouvelles technologies décarbonées. C'est un horizon qui en replaçant la discussion sous le "voile de l'ignorance" atténue l'antagonisme des intérêts. Accord de court terme et accord de long terme ne seraient pas antagonistes, bien au contraire. Faire émerger une vision partagée sur l'avenir, même si sa concrétisation n'est pas assurée, faciliterait l'accord de court terme, c'est du moins l'argument que nous développerons. Et si les négociations devaient échouer à mettre en place une politique crédible, l'accord, même flou pour après-demain, serait un précieux viatique pour demain.

Mais quel long terme et quel accord pour le long terme ? Par long terme, il faut entendre l'horizon auquel on se réfère pour les questions climatiques, disons 2050. Qui dit accord dit acquiescement à une vision ou un objectif commun pour les sujets de droit de cet accord, en l'occurrence les pays. Sur le sujet concerné, l'accord doit porter sur le contrôle du volume des émissions de gaz à effet de serre, en particulier de gaz carbonique. Il doit à la fois être simple et porter un message important.

Celui que nous proposons se situe dans la logique de contrôle des émissions préconisée par le groupe d'experts international sur l'évolution du climat (GIEC). Il se réfère, dans la terminologie Kyoto, à des quotas ou encore des droits d'émissions pour chacun des pays participants. Ces droits d'émissions sont échangeables mais leur stock total fixe un objectif intangible. Ce que nous proposons repose sur deux éléments solidaires.

D'abord, envisager un volume global d'émissions compatible avec le maintien d'un équilibre atmosphérique satisfaisant dans le long terme : ce qui signifie, estimation plausible, au moins une division par deux des émissions globales contemporaines. Ensuite, distribuer le quota d'émissions entre les pays en proportion de leur population. Dit autrement, l'accord porterait sur des droits d'émissions par tête uniformes sur la planète. Chaque citoyen du monde aurait le même droit (par exemple celui d'émettre 200 ou 300 kg de carbone/an, c'est à peu près en ligne avec l'objectif du facteur 4 que s'est fixée la France), la même part des droits globaux octroyés sur la planète.

L'objectif est, direz-vous, incomplet, il porte sur la cible mais ignore la trajectoire. Mais il est volontairement incomplet, faisant l'hypothèse que l'accord préalable sur la cible facilitera les négociations sur la trajectoire. La proposition aussi opte pour la plus grande simplicité. Idéalement, il faudrait mieux affiner la logique égalitaire, pour tenir compte, dans l'attribution des droits d'émissions par tête, de la variété géographique des effets maléfiques du changement climatique. Mais la lisibilité du message, un message essentiel, celui de l'appartenance de tous les habitants de cette planète à une même communauté, en serait affectée. Certains regretteront que l'exigence d'équité ainsi affirmée soit limitée au seul contexte climatique. Malgré tout, l'idée que chaque habitant de la planète a droit à sa part de la quantité limitée d'émission de gaz à effet de serre compatible avec la survie de l'écosystème aurait une force symbolique considérable. De fait la proposition fait sinon droit, du moins entre en résonance avec l'argumentaire des pays en développement, qui, en posant le problème de la dette écologique, se réclament d'une égalité de traitement entre pays riches et pauvres.

Cette répartition égalitaire de droits, et donc l'engagement collectif à une limitation drastique des émissions qui va avec, pourrait-elle être acceptée ? Militent pour une réponse positive la force symbolique et paradoxalement, mérite oublié du long terme, l'éloignement de l'échéance.

Soyons optimistes. L'acceptation d'une cible commune à l'horizon de cinquante ans changerait peut-être la discussion sur le court et moyen terme. Cette acceptation détruirait les bases de ce qui gangrène la négociation, comme il a gangrené la planification soviétique, l'effet de cliquet : pourquoi faire un effort aujourd'hui quand le succès de cet effort accroîtra la demande de résultats à obtenir demain ? Notons que l'acceptation de cet objectif, associé à la division égalitaire des droits de propriété, ne conduit pas les pays en développement à renoncer au recouvrement de ce qu'ils jugent être une dette écologique : la trajectoire des chemins d'émissions négociée ultérieurement entre aujourd'hui et la date de référence choisie peut tenir compte de la nécessité d'un rattrapage. Elle ne signifie pas non plus que l'angélisme, qui n'est pas de mise pour un problème dramatique, se substitue au réalisme. Le Nord doit chercher un accord qui à la fois tient compte des revendications légitimes du Sud mais aussi suscite une politique vigoureuse et un commerce responsable.

Notons enfin que cette référence à des objectifs communs, souhaitables pour le reste du monde, ne serait pas sans mérites pour une partie du monde. Un objectif à terme de 2050 d'émissions par tête pour les pays de l'UE constituerait non seulement une boussole utile à la politique communautaire mais écarterait aussi la menace de déresponsabilisation des politiques nationales.

Roger Guesnerie, professeur au Collège de France et président de Paris School of Economics, et Thomas Sterner, président d'European Association of Environmental and Resource Economics et professeur à l'Université de Gothenburg, Suède.