Fonder les bases d’une citoyenneté européenne

Dès son installation à l’Elysée, Emmanuel Macron a trouvé sur son bureau la question qui obséda ses prédécesseurs : comment faire avec l’Allemagne ? Cette question devient ouvertement politique parce que la protection de l’Europe sous hégémonie américaine est en train de disparaître. C’est ce que semble avoir compris le président français, si l’on en juge d’après ses premiers pas sur la scène européenne, alors que la chancelière allemande donne des signes d’ouverture vis-à-vis des propositions françaises d’un ministre des finances et d’un budget de la zone euro.

En effet, le temps des ruptures arrive à grands pas avec la dégradation de la situation géopolitique. Sur trois plans, Trump rejette ce qui restait de l’ordre international piloté par les Etats-Unis : la solidarité de défense dans l’OTAN, l’engagement international contre la menace climatique et les règles du multilatéralisme des échanges.

Cette nouvelle situation met en évidence comme jamais la fragilité du projet européen. Car, hors de l’orbite hégémonique des Etats-Unis, l’Europe n’est pas actuellement une puissance publique capable d’être autonome dans un monde conflictuel et incertain. Angela Merkel a été la première à le rappeler après le G7.

D’ailleurs, le manque de direction politique commune réagit sur l’impuissance économique à surmonter les divergences internes à la zone euro. L’incertitude sur les orientations budgétaires des Etats-Unis et sur les impacts financiers mondiaux qui peuvent en découler, peut se transformer en risque majeur d’une hausse conjointe des taux obligataires américains et du dollar qui réveillerait la crise budgétaire en Europe. Le retour des errements passés face à une nouvelle situation de crise interne de la zone euro ne ferait qu’amplifier le sentiment d’impuissance publique, de moins en moins supportable pour les citoyens.

Fonder les bases d’une citoyenneté européenne

Investir dans des biens communs qui accroissent la sécurité, élèvent le potentiel de croissance, sauvegardent l’environnement, relient les centres de recherche publics et développent un capital humain européen dans l’intensification des échanges Erasmus, c’est fonder les bases d’une citoyenneté européenne. Le moyen politique qui mobilise la finance et entraîne les acteurs privés est le budget.

Mettre en commun des ressources pour produire des biens publics européens est un gain pour chacun des pays membres à la fois économique et politique : économique si leur choix est une valeur ajoutée européenne, en sus de celle que chaque pays peut produire séparément ; politique si ces investissements pour des biens communs résultent de projets choisis par les citoyens à travers des élections à enjeu européen.

La dimension complémentaire pour construire les bases d’une Europe politique, indispensable pour jouer un rôle déterminant dans la construction d’un monde multipolaire pacifique, est de rendre l’Europe sociale visible aux citoyens. L’investissement en capital humain en est une composante majeure, mais aussi l’établissement d’une mobilité, non seulement « libre », mais aussi « équitable », de manière à éviter la concurrence destructrice des droits sociaux sous prétexte de compétitivité.

Car il s’agit désormais de faire société en tant qu’Européens. C’est par le politique que l’on saura résoudre les problèmes économiques jusqu’ici insolubles de la convergence des pays de la zone euro et donc de la complétude de l’euro.

L’argument démocratique

Reste à convaincre l’Allemagne. Quel que soit le résultat des élections allemandes, il faut dépasser l’obsession des oppositions entre pays excédentaires et pays déficitaires, qui est condamnée à être inaudible outre-Rhin. Au lieu du langage comptable, il faut se convaincre que se préoccuper dès aujourd’hui des enjeux de long terme par la production de biens communs est la condition pour fonder une Europe véritablement politique et démocratique dans un régime de croissance soutenable.

Pour ce faire, il faut d’abord acter avec l’Allemagne et nos autres partenaires européens que la méthode des petits pas, qui fut le génie des débuts de la construction européenne, constitue désormais une impasse à plus ou moins court terme. L’Allemagne en a conscience. Bien plus que les entorses à la règle des 3 %, elle voit autour d’elle la démocratie se corroder.

La crainte de la possible élection de Marine Le Pen en France a rappelé à l’opinion allemande que les valeurs communes sur lesquelles l’Europe est fondée forment un principe supérieur d’appartenance qui appelle, ici et maintenant, un nouvel acte politique fondateur, comme le furent la création du marché commun et l’institution de la monnaie unique. Or, il n’y a que deux sauts en avant politiques possibles : le saut de souveraineté pour établir les Etats-Unis d’Europe – illusoire dans l’état actuel des mentalités – ou le saut budgétaire pour instituer une véritable puissance publique européenne.

Il n’y aura pas de relance européenne, et donc d’avenir de l’Europe, sans le retour du primat du politique sur l’économique, de la puissance publique sur la règle, de la substance – un budget politique pour la zone euro – pour valider l’avancée institutionnelle, avec un ministre des finances de la zone euro.

Michel Aglietta est professeur émérite à l’université Paris-Ouest et conseiller au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) et à France Stratégie.
Nicolas Leron est président fondateur du think tank EuroCité. Ils viennent de publier La Double Démocratie. Une Europe politique pour la croissance (Seuil, 208 pages, 20 euros).

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