Fonte des neiges et des glaces. Un appel à l'action

Le visage de notre planète – une sphère bleu et blanc se profilant entre les étoiles, un tourbillon de nuages d'où émerge la blancheur éclatante des calottes de glace polaire et le bleu de l'océan – est une image que tout humain ou presque porte en lui comme le symbole de notre maison commune.

Mais pour combien de temps encore les générations futures pourront profiter de cette blancheur polaire, seule garante de l'existence humaine ? Alors que les négociations autour du climat s'ouvrent à Copenhague pour aborder la question du réchauffement de la planète à l'horizon 2020, 2030 ou 2050, l'avenir du système climatique dans sa globalité est moins dépendant d'échéances sur le long terme que de notre action – ou de notre inaction – dans les années à venir pour ralentir la fonte des glaces.

La diminution de la cryosphère – les régions où la surface de la Terre est recouverte de neige et de glace – constitue, depuis un certain temps déjà, un signal d'alarme symptomatique du réchauffement de la planète. Dès le premier rapport du Panel intergouvernemental sur le changement climatique (IPCC), en 1990, nous savions que le réchauffement de l'Arctique progressait rapidement, soit deux fois plus vite que le reste du globe. Nous avons vu les glaciers au sommet du Mont Kilimanjaro disparaître progressivement, plus de 85 % de leur surface totale ayant fondu en un siècle. En 2002, nous avons observé en Antarctique la barrière de glace Larsen B, vieille de 12 000 ans, se désintégrer en quelques semaines seulement.

Nous savions déjà que les choses allaient mal. Nous savons maintenant que la situation relative aux régions de glace et de neige sur notre planète est en fait bien pire.
En avril dernier, le vice-président Al Gore et moi-même avons chargé un panel d'experts scientifiques de dresser un état de la couche de glace et de neige sur la planète. Ces scientifiques ont rédigé leurs conclusions, et nous allons délivrer ce rapport auprès de l'UNFCCC à Copenhague le 14 décembre. Nous nous attendions que ce rapport nous fasse réfléchir. Il constitue en fait un cri d'alarme strident provenant des quatre coins de la cryosphère, un avertissement sans appel sur le statut de la fonte des glaces.

– Les pertes relatives à la couche de glace au Groenland ont triplé au cours de la dernière décennie.

– La couche de neige est en diminution rapide, tout comme les glaciers terrestres, de l'Himalaya jusqu'aux Alpes, et notamment dans les Andes et le Nord-Ouest américain, où les pertes sont les plus importantes.

– Alors qu'il semblait pendant un temps préservé de la fonte des glaces qui affectait d'autres régions, même le puissant Antarctique est désormais touché par ce phénomène, dû au réchauffement des températures. Qu'est-ce que cela implique pour les populations du monde, et notamment pour celles vivant éloignées de ces régions de glace et de neige ? Les conséquences pour notre futur sont incommensurables.

– Les dernières estimations IPCC (2007) prévoyant une élévation de 0,5 m du niveau de la mer d'ici à 2100 sont désormais révisées à la hausse. A cause de l'accélération de la fonte au Groenland, comme partout ailleurs, une élévation de 1,5 m du niveau de la mer est plus probable, ce qui affecterait la vie de centaines de millions de personnes.

La fonte des neiges et des glaces diminue la réflectivité de la surface de la Terre, et par là celle du permafrost, libérant plus de méthane et de CO2 que ce qui n'a été anticipé. Ces évolutions conduiront à un réchauffement plus rapide de l'ensemble de la planète. La diminution de la surface des glaciers terrestres pourrait conduire à des pénuries d'eau plus largement répandues. Plus de 2 milliards de personnes dépendent aujourd'hui de l'eau provenant du seul plateau de l'Himalaya, appelé communément le "troisième pôle".

La fonte des glaces ne constitue ainsi pas seulement un problème pour les populations des montagnes ou de l'Arctique. Il est ici question de notre futur à tous.

Qu'est-ce que cela veut dire pour les nations du monde se réunissant en ce moment à Copenhague ? Plus que toute autre chose, les leaders de tous les pays doivent se mettre d'accord sur des principes forts et agressifs pour réduire les émissions de CO2. Et parce que les effets néfastes du C02 sont durables, pour conserver un espoir de préserver la cryosphère, nous devons commencer à réduire ces émissions dès aujourd'hui. Pas l'année prochaine, ni après 2020 : aujourd'hui.

Les négociations sur le climat sont allées aussi loin qu'elles l'ont pu. Ce dont nous avons besoin à Copenhague, ce sont des leaders visionnaires – qui ont la volonté de dépasser les intérêts nationaux forcément restrictifs ou les simples problématiques de compensation et de sanction – pour agir sur le futur menacé de notre planète incroyablement fragile.

Nous avons aussi besoin d'un plan d'urgence pour la cryosphère, pour agir maintenant et préserver au maximum et autant que possible la couche de neige et de glace. Cela veut dire réduire les émissions de gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone ou l'ozone, mais aussi porter notre attention sur des gaz tels que le HFC et le méthane.

Les émissions de carbone contribuent à elles seules à plus de 12 % du total du réchauffement climatique, et ce encore plus dans la cryosphère, où elles assombrissent la neige et la glace, augmentant d'autant la fonte. Des études récentes montrent que la plupart des émissions de carbone présentes dans l'Arctique proviennent des résidus brûlés de cultures agricoles aux Etats-Unis, au Canada et en Russie : nous devons tous faire notre part du travail pour stopper cette pratique dangereuse immédiatement. De manière générale, la fumée provenant de vieilles cuisinières ne produit pas seulement du carbone mais tue aussi des millions de femmes et d'enfants chaque année. Remplacer ces fourneaux anciens par de nouveaux plus propres, notamment dans les régions de l'Himalaya, permettrait de sauver des vies, et en même temps de préserver la cryosphère.

Le méthane, un gaz responsable pour près de 25 % du réchauffement planétaire (notamment près des pôles au printemps) mérite lui aussi notre attention. Nous devons réduire au minimum les émissions de méthane, qui ne cessent pourtant d'augmenter avec la fonte du permafrost.

L'accord de Copenhague a besoin à la fois d'objectifs à moyen et à long terme, pour 2020, 2030 et 2050 ; et ces objectifs se doivent d'être agressifs. Mais nous ne devons pas nous méprendre sur ces échéances en pensant que nous disposons de temps pour sauver la cryosphère. Nous nous devons d'agir, ici et maintenant. Notre planète, étincelante sphère bleu et blanc au milieu des étoiles, n'aura peut-être pas de deuxième chance.

Jonas Gahr Støre, ministre des affaires étrangères norvégien.