Forçage génétique: technologie d’extinction au service de l’humanité?

Un fermier au milieu d'un champ de blé, Le Caire, Egypte, avril 2018. © Mohamed Abd El Ghany/Reuters ©
Un fermier au milieu d'un champ de blé, Le Caire, Egypte, avril 2018. © Mohamed Abd El Ghany/Reuters ©

Il y a vingt ans, la société civile révélait au monde un brevet américain sur ce qui est devenu la «technologie Terminator» – des semences génétiquement modifiées (GM) pour ne pas germer. Autrement dit, l’ingénierie génétique au service de la stérilisation du vivant. La société civile s’est clairement opposée à une telle pratique y compris les organismes des Nations unies. Terminator a ainsi été placé sous moratoire mondial en vertu de la Convention sur la diversité biologique (CBD) de l’ONU en 2000.

Les discussions qui se sont tenues ces dernières semaines, lors de la 14e Conférence des parties (COP14) de la CBD, portent sur une technologie génétique encore plus puissante, le forçage génétique (FG) ou «gene drive» en anglais.

Anéantir les espèces «indésirables»

Le FG est une forme extrême de génie génétique qui relève de la biologie synthétique et qui permet de contourner les lois de l’hérédité biologique. Il permet à une modification génétique d’être imposée à l’ensemble de la descendance d’une espèce se reproduisant de manière sexuée. Naturellement un gène est hérité par la moitié de la descendance (vous avez la moitié de l’information génétique qui provient de votre mère et l’autre moitié de votre père). Le FG peut être assimilé à une mutation auto-amplifiante, qui s’autoréplique et qui se diffuse plus rapidement que par la génétique habituelle. Il permet ainsi de modifier génétiquement des populations entières d’organismes. Si avec les OGM classiques, la dispersion des gènes modifiés devait être évitée et pouvait survenir par accident, avec ces nouveaux organismes génétiquement forcés, la dispersion devient la stratégie recherchée!

Le forçage génétique a pour vocation d’anéantir certaines espèces «indésirables» en propageant des «gènes de stérilité» par exemple. Une espèce de moustique qui transmet une maladie, un ravageur de culture ou une espèce envahissante seraient rendus stériles. Il s’agit donc là d’une technologie de l’extinction génétique pour laquelle il n’existe pour l’heure aucune donnée scientifique qui permette d’en quantifier le risque, ni de données qui permettent d’en établir l’efficacité réelle. En effet, les organismes peuvent inactiver ce forçage génétique par exemple. Les écosystèmes quant à eux sont résilients. Un organisme remplit plusieurs fonctions et une fonction est remplie par plusieurs organismes. Ainsi éradiquer pour contrôler, vision réductionniste promue par l’industrie et certains généticiens, ne fonctionne pas dans les systèmes complexes. En éliminant une espèce, une autre peut prendre sa place, mais pas selon le même mode. Ainsi si on élimine un moustique vecteur de la malaria, un autre pourrait prendre sa place tout en étant plus virulent ou alors en ayant une aire de répartition plus grande. On renforcerait alors le problème plutôt que de le résoudre.

Le rôle de la fondation Gates

Le principal promoteur de cette nouvelle technologie présent à la COP14 en Egypte était le Target Malaria project, un consortium d’instituts de recherche financés entre autres par la Fondation Bill et Melinda Gates à hauteur de plusieurs dizaines de millions de francs. La fondation Gates a aussi financé à hauteur de 1,6 million Emerging Ag Inc., une entreprise de relation publique, pour travailler sur le FG et exercer une influence sur la CBD. L’industrie a appris de ses erreurs et ne se présente plus directement. Elle le fait au travers de scientifiques acquis à la cause (et à leur financement) qui sont coachés par des agences de communication.

La Convention sur la diversité biologique demande aux gouvernements de conduire une évaluation des risques stricte et d’obtenir le consentement des populations locales avant toute potentielle dissémination d’organismes génétiquement forcés. Les parties prenantes ont refusé le moratoire proposé par la société civile. Il faut impérativement que les gouvernements instaurent, a minima, une gouvernance stricte et sévère de ces technologies de destruction massive. Il nous est toutefois permis d’en douter lorsque l’on sait que le Darpa (US Military’s Defence Advanced Research Projects Agency) est le plus important bailleur de fonds pour la recherche sur le FG… qui se passe bien à l’abri des regards des citoyens.

Luigi D’Andrea, secrétaire exécutif de l’Alliance suisse pour une agriculture sans génie génétique.

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