Forum Chine-Afrique: le dragon et l’autruche

«Le dragon et l’autruche», c’est le titre du livre de l’écrivain Adama Gaye, spécialiste des relations sino-africaines, interrogé par Le Point lors du récent Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) qui s’est tenu à Johannesburg les 4-5 décembre. Le dragon, parce que depuis 2000, la Chine s’est conduite comme un état colonisateur puissant envers l’Afrique, bien qu’elle l’ait toujours nié, son offre gagnant-gagnant ayant été largement à son profit pour sécuriser les matières premières dont elle a besoin pour stimuler son économie (pétrole, fer, cuivre, uranium, etc.). Mais elle a négligé de transformer les produits sur place: prendre et ne rien donner en retour comme le faisaient les colonisateurs.

La tête dans le sable

Dans son ensemble, l’Afrique a fait l’autruche, se cachant la tête dans le sable, pour ne pas voir en face cette recolonisation systématique et pleine de beaux discours («nous sommes vos amis»), trop heureuse de faire ainsi un pied de nez aux Occidentaux et aux Américains… En plus, la Chine, avec ses immenses réserves de capitaux, a pu les faire miroiter aux yeux des dirigeants africains, notamment par une corruption massive.

Ce sixième forum était donc attendu comme un moment de vérité pour plusieurs raisons: vu le ralentissement de la croissance chinoise, ses investissements en Afrique ont chuté de 40% depuis le début 2015. En dix ans, le montant des échanges commerciaux a atteint environ 300 milliards de dollars. Mais l’Inde a aussi montré son grand appétit en organisant en octobre dernier son Sommet Inde-Afrique auquel ont participé une quarantaine de chefs d’Etats qui ont conclu des accords bilatéraux. Le montant des échanges commerciaux se monte à 72 milliards de dollars. Le Premier ministre indien Narenda Modi a offert en plus 50 000 bourses d’études aux jeunes Africains pour les 5 prochaines années, heureux d’étudier en anglais.

Caverne d’Ali Baba

Avant ce sommet indien, inquiets de leur retard, les Etats-Unis avaient aussi organisé leur Sommet Etats-Unis-Afrique l’année dernière! Autres concurrents de la Chine: le Japon et les anciennes puissances coloniales, France, Portugal, Grande Bretagne, qui ont besoin de débouchés ailleurs qu’en Europe. Les puissances émergentes telles que le Brésil, la Turquie, la Corée du Sud, le Vietnam, la Malaisie, Singapour ne sont pas en reste non plus. Autant dire qu’il y a beaucoup de convives autour de la table africaine, riche en ressources naturelles, minières et en main-d’œuvre bon marché. Une caverne d’Ali Baba très convoitée!

C’est dire que la Chine, pour garder sa prépondérance et rester le principal partenaire commercial, y a mis le paquet: elle veut injecter 60 milliards de dollars d’aide en Afrique! Et comment? Sous forme de prêts à un taux zéro et à des taux préférentiels, offrant aussi certaines remises de dettes. Cet argent financera dix programmes de coopération sur trois ans dans les domaines de l’agriculture, de l’industrialisation, de la réduction de la pauvreté, de la santé, de la culture, de la sécurité, de la protection de la nature ou encore du développement vert. Cela comprend aussi une aide alimentaire d’urgence (156 millions de dollars). Le premier ministre Xi Jinping a également promis une aide sans contrepartie de 60 millions de dollars à l’Union Africaine (UA) pour le maintien de la paix (8000 hommes). C’est vrai que la Chine compte environ 1,5 million de travailleurs en Afrique qui se mêlent peu à la population et leurs deux mille entreprises ont été menacées. Des Chinois ont été victimes de terroristes. Relevons néanmoins que pendant ce temps, des milliers de jeunes Africains doivent s’exiler à la recherche d’un travail. La honte!

Usines transférées

La Chine, ne voulant plus trop dépendre de ses exportations et investissements, cherche à se repositionner aussi face à l’extérieur pour corriger les déséquilibres en mettant l’accent sur les services. Elle est disposée à transférer sur place ses usines les moins compétitives pour profiter de l’abondance et des bas coûts de la main-d’œuvre locale. Cela créerait des millions d’emplois, pensent les optimistes. Attendons d’abord. Son partenariat avec l’Afrique se concentre à 80% sur quatre pays les plus riches en ressources naturelles (pétrole surtout, mais aussi l’uranium en Namibie): Afrique du Sud, Angola, Nigeria, Soudan. Les prix sont bas, et les peuples en profitent peu d’où les conflits en cours ou programmés.

La Chine a l’ambition de devenir la plus grande puissance mondiale et pour cela doit forger une relation stratégique avec l’Afrique. Mais se montrera-t-elle moins coloniale qu’au début? Les pays africains deviennent de plus en plus exigeants, leurs sociétés civiles et même les Eglises sont agissantes, même si dans certains pays la liberté de la presse est restreinte et des activistes emprisonnés, ceci sur le conseil de «bonne gouvernance» de Pékin (Angola, Afrique du Sud). Au Nigeria (Boko Haram) et au Soudan (guerre interne), il y a de graves conflits. Ce qui montre une fois de plus que là où il y a des ressources naturelles, il y a des guerres et la responsabilité des multinationales et des Etats étrangers sont aussi mis en cause. En plus, selon les climatologues, la sécheresse, déjà présente, fera des ravages dans la Corne de l’Afrique et en Afrique australe. De nouveaux réfugiés en vue pour l’Europe…

Enfin, depuis cette percée asiatique sur le continent, l’Afrique a perdu des troupeaux entiers d’éléphants agonisant sur place, et des rhinocéros. Une caisse saisie à l’aéroport de Zürich il y a quelques mois, en provenance de Tanzanie à destination de Pékin, contenait de l’ivoire d’une vingtaine d’éléphants, a-t-on estimé. Comme les passeurs qui s’enrichissent avec l’argent des réfugiés africains, les braconniers payés par des agents étrangers, déciment les troupeaux africains…

Christine von Garnier, sociologue et journaliste.

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