G20 et sécurité alimentaire : la vanité des discours

La régulation des marchés dérivés des matières premières est un des grands chantiers de la présidence française du G20. En matière agricole et alimentaire il y a manifestement urgence. Les indicateurs sont au rouge. Les prix des produits alimentaires de base explosent : le blé coté à 120 euros la tonne en février 2010 frise les 270 euros un an plus tard, dépassant le plafond atteint en 2008, tandis que l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture annonce une crise alimentaire d'une ampleur similaire à celle de 2008. Le G20 finances attend les résultats de plusieurs rapports pour se pencher sur la question. La spéculation sur les marchés dérivés agricoles apparaît pour de plus en plus d'experts comme une cause majeure de la flambée des prix. Du coup tout le monde se réjouit : le G20 prend enfin ses responsabilités !

Mais y a-t-il vraiment de quoi se réjouir ? Transparence accrue sur les marchés, dialogue amélioré entre producteurs et consommateurs, étude des produits dérivés et de leurs mécanismes… Les propositions émises par la présidence française ne feront certainement pas trembler l'industrie financière. Elles ne permettront pas de contrer l'arrivée massive, sur les marchés à terme agricoles, des fonds de pension, des fonds indexés et autres produits de la finance, qui font feu de tout bois pour rentabiliser leurs portefeuilles et contribuent ainsi aux bulles spéculatives et à l'insécurité alimentaire. Elles n'inverseront pas la tendance à l'hégémonie des spéculateurs par rapport aux opérateurs économiques, ceux qui produisent et échangent réellement les produits agricoles et alimentaires, spéculateurs qui ne représentaient qu'un quart des positions d'achat en 1998 et les trois quarts dix ans plus tard. A minima faudrait-il envisager de restreindre les positions de chaque agent, de supprimer les marchés de gré à gré ou de les suspendre en période de turbulence.

Mais quand bien même y parviendrait-on, ces mesures ne changeront rien au problème de fond : la volatilité des prix agricoles. Pour néfaste que puisse paraître la spéculation sur les denrées alimentaires de base, elle n'est qu'un effet collatéral du démantèlement des politiques agricoles entrepris à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 1994. Les marchés agricoles ne sont pas parfaitement concurrentiels et efficients comme le supposent les modèles qui prônent leur dérégulation. Pour de multiples raisons, ils varient de façon brutale et chaotique, ce qui pénalise la rentabilité des investissement productifs, l'efficacité de l'organisation des filières, et in fine la stabilité des prix au consommateur et la sécurité de son approvisionnement. C'est pourquoi, depuis les pharaons et dans toutes les sociétés prospères, les pouvoirs publics ont régulé les marchés pour stabiliser les prix intérieurs. C'est pourquoi les Etats-Unis ont posé dès 1938 les fondements d'une politique agricole et alimentaire qui inspire encore aujourd'hui leur action. C'est pourquoi l'Union européenne, a mis en place dans les années 1960 une Politique agricole commune (PAC) permettant de stabiliser les prix et d'assurer la sécurité d'approvisionnement d'un nombre croissant de consommateurs à des prix raisonnables.

DÉMANTÈLEMENT DES POLITIQUES DE RÉGULATION DES PRIX AGRICOLES

Mais l'idéologie néo-libérale a poussé depuis les années 1980, sous l'égide de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international (FMI) puis de l'OMC, à démanteler tous ces outils de régulation, dans les pays du Nord comme du Sud. Les pays les plus riches ont toutefois pu préserver leur potentiel de production, par de substantielles aides directes aux agriculteurs, à la charge du contribuable. Ce qui n'a pas pu être le cas dans les pays les plus pauvres : leur potentiel de production s'est fortement dégradé, contribuant à accroître de façon dramatique leur dépendance alimentaire. Celle-ci devient insupportable avec la flambée des cours, jouant un rôle non négligeable dans les soulèvements actuels contre les régimes en place.

En parfaite continuité avec la doctrine de l'OMC qu'elle a activement soutenue, l'Union européenne s'apprête à porter un coup fatal en 2013 à sa Politique agricole commune. Les pays et grandes régions auront ainsi abandonné tous les instruments de politique agricole nécessaires pour gérer la sécurité alimentaire. Avec l'abandon des politiques régionales de stockage, les prix agricoles intérieurs sont désormais alignés sur des cours mondiaux de plus en plus volatiles. Les conditions sont alors réunies pour que les spéculateurs, dont c'est la raison d'être, puissent trouver de nouvelles opportunités de profits à court terme sur les produits financiers dérivés des marchés agricoles. La France ne s'y était pas trompée, puisqu'en 1936 elle avait interdit les marchés à terme agricoles, les considérant comme contradictoires avec la stabilisation des prix.

On mesure ici toute la vanité des discours des puissances du G20 : répondant aux préceptes néolibéraux, elles démantèlent les politiques de régulation des prix agricoles et offrent un nouveau champs d'intervention aux spéculateurs, pour se lamenter ensuite sur les conséquences de leurs propres choix. En pleine flambée des prix, elles ne proposent ni d'éteindre l'incendie, ni d'en traiter les causes, mais tout juste d'y voir un peu plus clair sur l'étendue du désastre. Ultime contradiction : le G20 finances vient d'appeler une nouvelle fois à conclure le cycle actuel de négociations de l'OMC, alors que l'accord en préparation prive définitivement les grandes régions de toute possibilité de protection face aux aléas des cours mondiaux, de stabilisation des prix et de réorientation vers une meilleure autonomie alimentaire…, qui sont pourtant les seuls moyens à même de réellement dissuader les spéculateurs.

Par Jean-Christophe Kroll, professeur de l'enseignement supérieur agronomique, et Aurélie Trouvé, maître de conférences et coprésidente d'Attac.

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