Gaza, les enfants du malheur

Après presque un mois de guerre, ce sont 400 enfants de moins de 14 ans qui ont été tués par Israël. Où sont les promesses de la Déclaration des Droits de l’Enfant de 1959 des Nations unies ?

Quelques dizaines d’heures après le retrait de Gaza par l’armée israélienne, le bilan humain semble d’un autre âge : ce ne sont pas moins de 1500 Palestiniens, 850 civils et… 400 enfants de moins de 14 ans qui ont été tués par Israël après près d’un mois de guerre.

A ce titre, la situation de la jeunesse gazaouie sous le blocus israélo-égyptien depuis 2007 et sous les guerres successives posait déjà de nombreux problèmes humanitaires défiant les droits humains élémentaires, l’apparent droit international et son impossibilité de le faire respecter. En effet, 70% de la population a moins de 14 ans. Nul Etat ou acteur international ne devrait tolérer qu’enfants et adolescents pâtissent d’un blocus ou d’une guerre qui ne sont pas les leurs. La déclaration des droits de l’Enfant de 1959 énonce dans son article 1 que «l’enfant est reconnu, universellement, comme un être humain qui doit pouvoir se développer physiquement, intellectuellement, socialement, moralement, spirituellement, dans la liberté et la dignité.» Les conséquences du blocus et des restrictions alimentaires imposées par Israël et l’Egypte sur les enfants gazaouis ont fait l’objet de nombreux rapports d’ONG et des Nations unies. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) s’inquiétait quant à elle régulièrement de la hausse des indicateurs de malnutrition qui préemptent l’avenir de milliers d’enfants: retards de développement, retards cognitifs, malformations physiques ou mentales. Gaza est déjà sur la voie de l’Irak, qui a subi dix ans de sanctions internationales.

Comme si le blocus ne suffisait pas, la plus meurtrière des Guerres contre Gaza depuis le retrait israélien en 2005 est survenue. Maisons détruites, hôpitaux et écoles furent visés par l’armée israélienne. Fin juillet 2014, une école de l’ONU était bombardée provoquant la mort de 15 enfants. Puis le 3 août, un nouvel établissement scolaire de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine) à Rafah, servant de refuge aux réfugiés, fut pilonné, provoquant la mort d’une dizaine de Palestiniens.

Alors que les Nations unies sont actuellement en train de renouveler leurs «8 Millenium Development Goals» pour 2015, adoptés en 2000 par 193 pays, avec la jeunesse comme priorité, elles ont laissé faire Israël, l’Egypte, et le Hamas procéder à un désastre orchestré et une volonté de destruction d’un peuple tout entier.

Ainsi, tous les pays signataires de la Déclaration des Droits de l’Enfant de 1959 des Nations unies, et qui promettaient un monde adapté aux Enfants, ont été incapables de faire respecter leurs engagements à Gaza. Pourtant, le principe 2 édictait : «L’enfant doit bénéficier d’une protection spéciale et se voir accorder des possibilités et des facilités par l’effet de la loi et par d’autres moyens, afin d’être en mesure de se développer d’une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social, dans des conditions de liberté et de dignité.» 2 Dès lors, à quand une nouvelle catégorie de crime contre l’humanité: provocation volontaire de débilitation profonde des enfants de toute une société? Il faudrait alors trouver une valeur normative en droit international lié à la dégradation volontaire, délibérée et organisée physique et mentale d’une population sur plus d’une génération. Dans ce cas, si ce nouveau «crime» devait être reconnu, il entraînerait des poursuites supplémentaires contre certains dirigeants d’Israël comme de ceux du Hamas.

Voilà probablement un cas unique dans l’histoire contemporaine d’une population entière à qui l’on fait subir un traitement collectif qui conduit d’ores et déjà à une régression holistique de tous les paramètres utilisés dans les rapports annuels de la Banque Mondiale et du Programme des Nations unies pour le Développement. Une étude publiée en 2009, après l’opération «Plomb Durci» par le Gaza Community Mental Health Programme annonçait des chiffres terribles: environ 50% des enfants âgés de 6 à 17 ans ayant été exposés pensent «souvent» ou «presque toujours» à se venger des Israéliens ; parce que 50% des enfants au moins ont perdu un proche ou un ami3.

Au début du XXIe siècle, le monde inerte aura au mieux une fois encore, désavoué l’un des grands principes d’un énième texte qu’elle aura généré. Le principe 5 de la Déclaration des Droits de l’Enfant expose : «L’enfant physiquement, mentalement ou socialement désavantagé doit recevoir le traitement, l’éducation et les soins spéciaux que nécessite son état ou sa situation.» Au pire peut-être assisté à une nouvelle forme d’action politique destructive sans le savoir : après le génocide, après le politicide, le «jeunocide», qui coupe à la racine, toute possibilité à une société de perdurer. Quoi qu’ils en soient, Israël a créé des milliers d’enfants du malheur. Et un jour, il en paiera le prix humain. Parce qu’un enfant n’oublie jamais.

Sébastien Boussois, conseiller scientifique à l’Institut européen de recherches sur la coopération méditerranéenne et euro-arabe (Medea), chercheur associé à l’ Université libre de Bruxelles (ULB)

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