Gaza : une enquête aux effets boomerang

La commission dirigée par Richard Goldstone était mal partie. Sous pression des pays de l’Organisation de la conférence islamique, le mandat initial donné par les Nations unies était d’enquêter sur les crimes perpétrés uniquement par les forces israéliennes durant le conflit de Gaza l’hiver dernier. Mais l’ex-procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) s’est intéressé aux violations graves du droit international, indépendamment de la nationalité de leurs auteurs. Au final, le rapport de 575 pages n’épargne ni les forces armées israéliennes, ni le Hamas et autres groupes armés palestiniens, tous - à des degrés divers - accusés de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité.

Au même titre que l’aide humanitaire, les commissions d’enquête et la justice internationale participent à l’économie générale du conflit. Les belligérants et leurs alliés tentent de s’en servir pour criminaliser l’adversaire, asseoir la légitimité de leur cause et imposer leur vision dans l’espace public. Mais ces instruments ne sont pas toujours dociles. Ainsi, Richard Goldstone a fait dévier de sa trajectoire initiale le mandat unilatéral qui lui était confié, provoquant presque autant de réactions négatives à Gaza qu’auprès des autorités israéliennes. S’appuyant sur le principe de la complémentarité, Goldstone a mis désormais la balle dans le camp des belligérants, leur laissant la possibilité de sanctionner eux-mêmes leurs hommes qui se seraient rendus coupables de crimes de guerre, sous peine que le Conseil de sécurité renvoie la situation à la Cour pénale internationale (CPI).

Certes, le rapport Goldstone place l’Etat hébreu sur la défensive, raccourcissant la distance entre Jérusalem et la Cour de La Haye. Mais les Etats arabes peuvent difficilement se réjouir. Ils craignent un jour de se retrouver dans le collimateur de la diplomatie judiciaire pour leurs propres violations des droits de l’homme. C’est pour cela qu’ils refusent de coopérer dans l’arrestation du président soudanais El-Béchir, accusé de crimes contre l’humanité au Darfour. Ils ne veulent pas d’un précédent et accusent la CPI d’être à la solde des occidentaux. Parmi les sept pays qui avaient voté contre les statuts de la CPI en 1998, se trouvent Israël, l’Irak, la Libye, le Qatar, le Yémen (ainsi que la Chine et les Etats-Unis), tandis que les vingt-et-une abstentions vinrent surtout des régimes arabes. Quant à l’autorité palestinienne, elle a ratifié en janvier 2009 les statuts de la CPI, sans mesurer qu’en criminalisant l’adversaire, elle reconnaissait la légitimité d’une justice qui peut lui demander des comptes.

Il y a une ironie dans le développement de la justice internationale et des commissions d’enquête au Proche-Orient. Là comme ailleurs, les Etats pensent en maîtriser les effets. Mais ceux-ci s’avèrent incontrôlables sur la durée, rendant coupables de leurs actes, non seulement ceux qui sont jugés, mais potentiellement aussi ceux qui sont les instigateurs de ces mécanismes de justice.

Pierre Hazan, professeur invité à l’Institut de Hautes études internationales et du développement.