Génocide rwandais : les quatre enseignements d'un procès historique

Il y a quelques jours s'est achevé le premier procès tenu en France visant le génocide des Tutsis au Rwanda intervenu entre avril et juillet 1994. L'accusé, le capitaine Pascal Simbikangwa, a été reconnu coupable de génocide et de complicité de crime contre l'humanité par la Cour d'assises de Paris et condamné à 25 ans de réclusion criminelle à l'issue de 6 semaines de procès.

Exceptionnel, ce procès l'est à bien des égards, car c'est la première fois que le crime de génocide inséré dans le code pénal français en 1994 était utilisé, première fois que celui de crime contre l'humanité, le « crime des crimes » car celui simplement « d'être né » (André Frossard), était employé depuis le procès de Maurice Papon en 1997. Et première fois en France qu'une juridiction de jugement se penche sur le génocide des Tutsis au Rwanda de 1994.

Pascal Simbikangwa est le premier Rwandais jugé en France en lien avec le génocide. | AFP/BENOIT PEYRUCQ
Pascal Simbikangwa est le premier Rwandais jugé en France en lien avec le génocide. | AFP/BENOIT PEYRUCQ

Le verdict fait l'objet d'un appel, et ce procès a été source de nombreuses interrogations : pourquoi se tient-il en France ? Quelle est la légitimité de la justice française ? Comment juger des faits anciens qui se sont déroulés à des milliers de kilomètres de la France ? Pour autant, quelques enseignements peuvent d'ores et déjà être tirés de ce procès peu commun.

Le premier est que la compétence universelle des juridictions françaises, qui leur permet de juger de faits commis par des étrangers en dehors du territoire français, pour les crimes de génocide et de crime contre l'humanité n'est pas une vaine expression. Si peu utilisée ces dernières décennies, on avait fini par croire que cette compétence universelle n'était qu'objet de débats universitaires. Or, sa mise en œuvre pratique pour les crimes les plus graves vient conforter son existence théorique en droit français, ainsi que sa légitimité.

Le second enseignement apparu au cours de ces six semaines de débats et d'audition, notamment, d'experts, d'historiens, de sociologues et de témoins des faits, c'est la nécessité renforcée d'un traitement spécifique des affaires de crimes contre l'humanité, en l'occurrence via le Pôle Génocide et Crime contre l'humanité institué au sein du Tribunal de Grande Instance de Paris (par la loi du 13 décembre 2011). La recherche des preuves en matière de crimes contre l'humanité est par nature complexe. Outre la volonté des génocidaires d'effacer les preuves de leurs actes et de se fixer pour règle qu'aucun témoin ne doit survivre, les faits à juger sont anciens, et se sont tenus loin des frontières françaises. Pour juger de façon équitable comme cela a été le cas, il est indispensable que le développement du pôle constitué de magistrats, d'enquêteurs, et d'experts spécialisés, doté de moyens spécifiques et conséquents, soit poursuivi.

En d'autres termes, la compétence universelle de la France pour juger des crimes les plus graves, doit avoir les moyens de son ambition.

Troisième enseignement, c'est la victoire ou plutôt une victoire sur l'impunité. Dans le contexte du génocide des Tutsis au Rwanda, de nombreuses polémiques ont mis en cause la France et ses institutions et laissé entendre qu'elle avait été une terre d'accueil pour des génocidaires rwandais, voire qu'elle avait facilité la fuite de nombre d'entre eux. S'agissant de Pascal Simbikangwa, c'est à Mayotte où il résidait depuis plusieurs années qu'il a été arrêté par les autorités françaises. Sa condamnation à 25 ans de réclusion criminelle (et quel que soit le résultat en appel) marque une victoire pour les associations de victimes, et plus généralement, un signal fort adressé à tous les génocidaires présents ou futurs, qui se trouveraient en France. Cette dernière demeure ainsi fidèle à sa tradition de droits de l'homme en s'opposant à l'impunité.

Enfin, dernier enseignement, c'est la nécessité d'un tel procès pour contribuer à la mémoire du génocide des Tutsis. Il ne s'agit pas à travers le procès d'un homme de prétendre écrire l'histoire du Rwanda. Mais, il est indéniable que la voix des victimes entendue au cours du procès et les auditions des experts, participent à la lutte contre l'oubli, la banalisation de ce génocide et son négationnisme croissant. L'antonyme de l'oubli n'est pas tant la mémoire que la justice, et ce premier procès qui s'est tenu en France y contribue, à sa mesure.

Par Alain Jakubowicz, Président de la Licra, et David Reingewirtz, avocat de la Licra dans le procès de Pascal Simbikangwa.

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