Gestion de la crise à Hongkong

La crise, initiée par un projet de loi d’extradition vers la Chine, est bien plus grave que le « mouvement des parapluies », qui défendait une véritable démocratisation pour Hongkong. Traditionnellement, les Hongkongais sont plus attachés à défendre leur identité – c’est-à-dire la semi-autonomie dont ils jouissent dans le cadre du principe « un pays, deux systèmes », dont l’indépendance de son système judiciaire est l’un des piliers – qu’à se mobiliser pour l’approfondissement des réformes politiques.

C’est pour cela que les mobilisations, qui ne montrent aucun signe d’affaiblissement depuis deux mois, ont d’emblée rassemblé une population plus nombreuse et plus diversifiée que le mouvement de 2014, qui était avant tout un mouvement étudiant.

En ne répondant pas aux préoccupations des Hongkongais, dont plus d’un quart sont descendus dans la rue le 12 juin, la chef de l’exécutif Carrie Lam a fait en sorte que beaucoup pensent désormais que l’Etat de droit ne pourra être préservé sans un progrès de la représentation politique, comme l’indiquent l’élargissement des revendications et les appels à « libérer Hongkong » de l’emprise de Pékin.

Manque de sens politique

Les gouvernements de Hongkong et de Pékin font preuve d’un manque criant de sens politique dans la gestion du mouvement. Or les Hongkongais, dont la culture démocratique n’a cessé de se renforcer depuis 2014, ne se gouvernent pas comme les Chinois du continent. En voulant discréditer les manifestants, la police, pourtant initialement un des piliers de l’autonomie de Hongkong, n’a fait que se discréditer elle-même, et elle est aujourd’hui désignée comme « l’ennemi du peuple ».

Le fait qu’elle a usé à plusieurs reprises de la force de façon excessive, tout en n’intervenant pas lorsque le Parlement a été occupé et vandalisé par une partie des manifestants le 1er juillet ni lorsque les triades ont attaqué la population dans le métro le 21 juillet, est la preuve aux yeux des Hongkongais que la police, comme leur gouvernement, est désormais vendue à Pékin.

La tactique de division a doublement échoué, dans la mesure où les Hongkongais sont restés solidaires des manifestants, et leur sont reconnaissants d’avoir empêché le projet de loi de passer. Aucune concession n’a été faite aux demandes des manifestants, bien au contraire. Le projet de loi, suspendu, n’a pas été formellement retiré. Une commission d’enquête indépendante sur les violences policières ne verra jamais le jour, car elle serait susceptible de révéler que la police hongkongaise a reçu des ordres politiques pour appliquer la loi de manière sélective.

Jusqu’à dix ans de prison

A la demande d’abandon du qualificatif d’« émeutes » et des poursuites judiciaires contre les manifestants arrêtés, le gouvernement hongkongais a répondu en annonçant que quarante-quatre des quarante-neuf personnes arrêtées seront poursuivies pour émeutes, un chef d’accusation pour lequel elles encourent jusqu’à dix ans de prison.

A la demande de démission de Carrie Lam Pékin a répondu en réitérant son soutien inconditionnel à la chef de l’exécutif tout en la marginalisant. Son silence depuis le 9 juillet renforce le sentiment qu’elle est une marionnette. Enfin, face à la demande de relance du processus de démocratisation, Pékin décline toute possibilité de dialogue en menaçant d’envoyer l’armée.

Cette menace est à prendre au sérieux. Certes, l’Armée populaire de libération (APL), dont 6 000 soldats sont stationnés à Hongkong, ne peut intervenir qu’à la demande du gouvernement hongkongais, et la police a encore des ressources pour lutter contre les manifestants. Mais ceux-ci la défient ouvertement en ne respectant pas les périmètres autorisés pour les rassemblements et en mettant en œuvre des tactiques de guérilla, multipliant les trajets spontanés de manifestations afin d’obliger les policiers à s’éparpiller.

La gestion catastrophique de la crise ne fait que renforcer la détermination des Hongkongais, qui ont le sentiment d’être engagés dans la bataille de la dernière chance. Elle ne peut qu’envenimer la confrontation alors que de nouveaux secteurs de la société ont annoncé leur participation aux manifestations. Fait inédit, les fonctionnaires, pourtant soumis au devoir de réserve, se sont mis en grève. Lundi, ce seront les employés du secteur bancaire.

Un second Tiananmen ?

Certes, Pékin aurait beaucoup à perdre économiquement et financièrement d’une intervention de l’armée, mais ce qui primera in fine, c’est le maintien de l’ordre et de sa souveraineté sur Hongkong, comme l’ont rappelé le porte-parole du bureau des affaires de Hongkong à Pékin et le commandant de la garnison de l’APL à Hongkong, pour qui la ligne rouge a été franchie.

Pékin, qui légitime d’avance l’intervention de l’armée au nom du respect de la loi et de l’Etat de droit, n’aura « aucun état d’âme », ainsi que l’a souligné le Quotidien du peuple. La personnalité de Xi Jinping, pour qui tout compromis est un échec insupportable et qui craint certainement que Hongkong ne crée un précédent pour le Xinjiang et le Tibet, va également dans ce sens. La dernière chose que voudrait le président, c’est donner l’impression de céder à la pression des gouvernements et des médias occidentaux qui, selon lui, manipulent les Hongkongais.

Mais quelle pression, au juste ? Donald Trump lui a apporté son soutien, soulignant qu’il « agissait de manière responsable ». Boris Johnson a salué la Chine comme « une amie » et l’a invitée à investir en Grande-Bretagne. Le Parlement européen a condamné les violences policières, mais l’Europe semble avoir trop à faire avec ses propres problèmes pour se mettre à dos le partenaire stratégique qu’est la Chine. Quant aux députés démocrates américains, ils ne remettront pas en cause le « Hongkong Policy Act », car traiter Hongkong comme une ville chinoise sur les plans commerciaux et financiers serait punir autant les Hongkongais que Pékin.

Il y a quelques jours, l’APL a publié une vidéo présentant des exercices antiémeutes d’une violence inouïe, visant à prévenir les Hongkongais de ce qui les attend. Certains n’y voient qu’une intimidation. Mais il s’agit d’un piège : Pékin ne reculera pas. Hongkong devra-t-il être le théâtre d’un second Tiananmen ?

Chloé Froissart est maître de conférences en études chinoises à l’Université Rennes-2 et chercheuse associée au CNRS-CRAPE.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *