«Gilets jaunes» et peste bleue

Des revendications éparses pour le mouvement des «gilets jaunes». © AFP
Des revendications éparses pour le mouvement des «gilets jaunes». © AFP

La France semble se désagréger. Alors que notre voisin nous a habitués à des mouvements sociaux souvent vifs, la situation de ces trois dernières semaines s’avère d’une tout autre ampleur. Des pans entiers de la population se laissent aller à une rage destructrice. Plus aucune commande actionnée par le pouvoir ne semble fonctionner. Et sur les plateaux de télévision s’expriment librement des personnes qui appellent à «marcher sur l’Elysée».

Il y a certes de la misère sociale en France. Mais pourquoi une telle éruption de violence maintenant? Dix-huit mois après l’élection d’un jeune président, cela paraît excessif. Trois ans après les attentats des islamistes qui ont lourdement endeuillé le pays, c’est illogique. Il y a peu d’éléments concrets qui expliquent un tel effondrement du débat public, une légitimation de la violence dans les médias et l’expression d’une folie destructrice que ni les politiques, ni les syndicalistes, ni l’esprit de concorde n’arrivent à atténuer.

La réponse pourrait bien se retrouver dans les algorithmes de Facebook. De nombreuses enquêtes montrent la montée en puissance sur le réseau social de groupes qui attisent la colère française. Ces bulles de rage ont – dans un premier temps – agrégé de plus en plus de monde autour du thème des  limitations de vitesse puis de la cherté des prix du carburant. C’est le début de l’émergence du phénomène «gilets jaunes». Mais ces groupes Facebook ont depuis étendu leurs centres d’intérêt en une haine du gouvernement, d’Emmanuel Macron voire de l’ONU – qui souhaiterait (c’est faux) envoyer 480 millions de migrants en Europe. Avec tout ce fatras, la furie ne fait que grandir.

Facebook a décidé depuis le début de l’année de favoriser les nouvelles locales. Les bulles de filtres qui avaient été observées lors de l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis en 2016 se retrouvent ici dans un autre contexte. Il se pourrait bien qu’elles aient happé une catégorie sociale relativement homogène. Si vous êtes un Français blanc, habitant hors des grandes villes, que vous exercez un métier manuel avec un revenu modeste – un «sans-dents», selon l’expression scandaleuse de François Hollande qui n’avait pas suscité d’émeute à l’époque –, alors il y a de fortes chances que les groupes affiliés aux «gilets jaunes» apparaissent dans votre fil d’actualité.

Est-ce la raison pour laquelle le mouvement est si insaisissable? Il capte en tout cas un maximum de gens et semble bénéficier d’un effet boule de neige. La possibilité d’une puissance étrangère à l’œuvre n’est pas à exclure. Le contexte international s’avère tendu, les barbouzeries sont d’actualité et les réseaux sociaux peuvent donner lieu à toutes sortes de manipulations qui poussent de simples citoyens à des actes insensés. En attendant, Emmanuel Macron doit tout faire pour trouver l’antidote à cette peste bleue.

Stéphane Benoit-Godet, rédacteur en chef de Le Temps.

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