Giorgia Meloni, prise entre deux feux sur la guerre en Ukraine, marche désormais sur une corde raide

La prise de bec dans le bureau Ovale de la Maison Blanche entre les présidents ukrainien, Volodymyr Zelensky, et américain, Donald Trump, et, par extension, entre Washington et l’Europe, a placé la présidente du conseil italien dans une position délicate. Plusieurs heures après l’altercation, Giorgia Meloni était la seule parmi les dirigeants européens à s’être abstenue de soutenir ouvertement Volodymyr Zelensky.

De fait, la partie était compliquée. Se ranger du côté du dirigeant ukrainien aurait compromis la relation particulière qu’elle entretient avec Donald Trump, désireuse comme elle l’est de devenir son interlocuteur européen privilégié. Mais, dans le même temps, se ranger du côté du président américain l’aurait définitivement fait passer pour une nationaliste au faible engagement européen et peu décidée à défendre l’Ukraine.

Au sommet de Londres sur l’Ukraine début mars, Giorgia Meloni n’a pas pu dissimuler son malaise. La démonstration d’unité des dirigeants européens renforce les positions de ceux qui défendent de longue date une Europe stratégique. Elle fragilise aussi les plans de Giorgia Meloni consistant à s’appuyer sur ses relations bilatérales avec l’administration Trump pour mieux assurer sa position en Europe – quitte à fragmenter son unité.

Pendant ce temps, en Italie même, son partenaire de coalition, Matteo Salvini, s’est ouvertement rangé dans le camp de Donald Trump. Aux côtés du premier ministre hongrois, Viktor Orban, il voudra peut-être essayer de séduire à la fois Washington en se présentant comme une alternative à la droite de Giorgia Meloni et aussi l’opinion publique italienne qui souhaite qu’un terme soit mis à la guerre en Ukraine.

Facilitatrice des échanges transatlantiques

Prise entre deux feux, Giorgia Meloni marche désormais sur une corde raide. La seule vraie carte qu’elle peut jouer consiste à se tailler un rôle de médiatrice entre l’Europe et Washington au sujet de l’Ukraine et, au-delà, un rôle de facilitatrice des échanges transatlantiques. De fait, Donald Trump décroche le téléphone pour lui parler plus facilement qu’il ne le fait avec les autres dirigeants européens. Et pourtant, tout ce qui brille n’est pas or. Giorgia Meloni est sans aucun doute une cheffe de gouvernement habile, mais il se pourrait qu’elle joue trop gros pour elle.

En janvier, la présidente du conseil italien a brillé de mille feux. Seul dirigeant de l’Union européenne à être invité à la cérémonie d’investiture du nouveau président américain à Washington, elle a brandi son déplacement aux Etats-Unis en le présentant comme une grande réussite, tant sur le plan intérieur que sur le plan européen. Que Giorgia Meloni soit appréciée à Washington ne devrait pas surprendre. Au cours de ses deux années à la tête de l’Italie, elle a habilement alterné les propos modérés et les prises de position radicales – incarnant d’une manière ou d’une autre un nouveau modèle global pour la droite au pouvoir.

Sa politique étrangère repose sur un ensemble de hiérarchies très claires. Les intérêts l’emportent sur les valeurs, l’intérêt national passe avant le consensus multilatéral, les relations personnelles ont priorité sur les canaux institutionnels et la croissance économique l’emporte sur les impératifs écologiques. Les accords de court terme sans grande incidence en matière de politique intérieure sont privilégiés aux dépens des solutions de long terme.

Cette liste pourrait se poursuivre. Le terme assez vague de « pragmatisme », qui peut signifier tout et son contraire, permettra ici de résumer cette manière de faire. C’est là un modèle qui ne fournit pas de solutions globales mais qui fonctionne juste assez pour ne pas perdre le pouvoir.

Mollesse de la croissance économique

Le « radicalisme pragmatique » de Giorgia Meloni peut certainement exercer une influence en matière de leadership et de pratiques de gouvernement au-delà de l’Italie, au sein de ce réseau global naissant des leaders de droite radicale en position de gouverner. Mais dans le même temps, elle peut aussi succomber à ce même modèle qu’elle s’efforce de construire.

Les problèmes structurels de l’Italie, vieux de plusieurs décennies, sont nombreux et destinés à s’aggraver. Il s’agit du deuxième pays le plus endetté de l’Union européenne. Sa croissance économique est d’une grande mollesse et uniquement redevable aux investissements massifs (194,4 milliards d’euros) dont le pays a bénéficié à travers le plan pour la reprise et la résilience de l’Union européenne. Au cours des dix ou quinze prochaines années, l’Italie, dont la population vieillissante, sera contrainte d’augmenter ses dépenses publiques.

Comparé à ceux de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, son réseau diplomatique est moins riche en bureaux à l’étranger et en personnel. Ce défaut de moyens complique la tâche consistant à traduire, au niveau politique, des visions ambitieuses en une stratégie réalisable. Dans le même ordre d’idées, les dépenses de défense de l’Italie s’élevaient en 2024 à 1,49 % du produit intérieur brut, loin du seuil des 2 % instauré par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en 2014. Voilà qui place Rome dans une situation délicate à un moment où la Maison Blanche s’apprête à demander à ses alliés une révision à la hausse de leurs engagements respectifs en matière de sécurité collective.

Consolider le prestige du pays

Il est certain que la relation particulière que Giorgia Meloni a su nouer avec Donald Trump peut conduire celui-ci à montrer à court terme à son égard une certaine indulgence sur des enjeux spécifiques comme l’Ukraine. Cependant, ces bénéfices immédiats ne permettront guère de remédier aux maux structurels de l’Italie. Le fait de s’aligner à n’importe quel prix sur les Etats-Unis et leurs initiatives radicales contre le système multilatéral nuirait tôt ou tard plus qu’il ne bénéficierait à une Rome sur le déclin.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’Italie a soutenu avec ferveur le multilatéralisme, et pas par hasard. Les gouvernements italiens successifs ont constamment apporté leur soutien aux institutions multilatérales comme les Nations unies, l’Union européenne et l’OTAN, et cela dans le but de consolider le prestige du pays tout en tentant de surmonter ses problèmes internes.

Giorgia Meloni se retrouve face à une alternative très lourde de conséquences : nouer un dialogue avec Washington au bénéfice de l’Europe ou parier sur sa proximité idéologique avec Donald Trump et Elon Musk et menacer dès lors la cohésion de l’Union européenne ; s’imposer comme une star de la droite radicale internationale ou reconnaître que l’Italie a beaucoup à perdre d’un (dés) ordre global uniquement fondé sur la force. Après tout, c’est là un choix entre Giorgia Meloni et l’Italie : affirmer sa stature ou défendre l’intérêt de son pays. Une mission bien délicate pour une nationaliste revendiquée.

Maria Luisa Fantappie, Leo Goretti et Filippo Simonelli sont politistes et membres de l’Istituto Affari Internazionali, un groupe de réflexion sur la politique internationale. Traduit de l’anglais par Frédéric Joly.

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