Glyphosate : « Et si tout n’était qu’un théâtre d’ombre ? »

Ira ? Ira pas ? La Commission renouvellera-t-elle l’autorisation d’utilisation du glyphosate, la substance active du plus connu des herbicides, le Roundup ? Maintenant qu’il est clair que les Etats n’arriveront pas à dégager une majorité qualifiée sur le sujet, la Commission peut décider seule.

Depuis que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), a classé le glyphosate parmi les substances « probablement cancérogènes », et même si toutes les autres évaluations, française, allemande, européenne, internationale, concluent que la substance n’est « probablement pas cancérogène », tout est bloqué. Le mal est fait, les mots sont dits. L’ombre du CIRC est trop grande.

L’ombre ? Et si justement, tout n’était qu’un vaudeville bruxellois, ou mieux, un théâtre d’ombre ? Dans un théâtre d’ombre, on croit voir des choses : Guignol taper sur le gendarme, Roméo embrasser Juliette, mais se touchent-ils vraiment ? Un léger décalage et le tour est joué. L’ombre nous fait croire ce qui n’est qu’apparence.

Un nouveau cheval de bataille

Tel est bien ce qui se passe en ce moment. Avec un décalage entre les attitudes et les intentions. L’absence de majorité qualifiée vient surtout des abstentions de poids lourds, France, Allemagne, Italie, bien embarrassés par cette affaire. La cause écologiste a trouvé avec le glyphosate un nouveau cheval de bataille. Avec une cause, des peurs, des manœuvres supposées des lobbys, et un ennemi identifié, car le fabricant du Roundup n’est autre que le tristement célèbre Monsanto, symbole des OGM.

Les tensions entre agriculture et environnement et entre ministres correspondants ne sont jamais loin. En France, la position a été arbitrée au niveau présidentiel. Nul doute que le retour en nombre, sinon en force (?) de ministres écologistes a pesé dans le choix. En politique, le poids ne se mesure pas en termes d’élus, ni même de voix, mais en médiatisation et en capacité de nuisance.

Et à ce jeu, les écologistes sont assez bons. En Allemagne, il y a le même clivage au sein de la coalition gouvernementale, devenue moins solide depuis le dossier des migrants. Les ministres SPD ont dit qu’ils refuseraient catégoriquement l’utilisation du glyphosate tandis que le ministre CDU de l’agriculture a dénoncé leur obstruction. Sans arbitrage de la chancelière. Pour tous, l’abstention est l’échappatoire commode. En France, elle permet de préserver l’avenir, en Allemagne, elle permet de préserver le présent.

Et puis, l’abstention peut être aussi créative. Le blocage des Etats n’arrête pas le processus mais fait reporter la responsabilité sur la seule Commission. Elle peut être le joker qui débloque la partie. Car lorsqu’aucune majorité ne se dégage au niveau des Etats, la Commission peut décider, seule. Elle aurait le choix entre s’abstenir à son tour, ce qui revient à arrêter le glyphosate, ou renouveler une autorisation temporaire.

Un soulagement au-delà du monde agricole

En toute cohérence, au vu des avis qu’elle a sollicité et qui vont dans le même sens, elle devrait donner son feu vert au renouvellement. Mais la Commission a aussi ses contraintes et est aussi tiraillée que les Etats. Elle doit arbitrer entre l’impopularité et les campagnes d’opinion qui ne manqueront pas d’évoquer l’influence des lobbys, et l’occasion de retrouver du crédit auprès des agriculteurs.

Un arrêt du glyphosate serait extrêmement embarrassant pour eux et mettrait un tonneau d’huile dans le feu des campagnes. La Commission trouve là une occasion d’être l’alliée objective des agriculteurs. Cela n’est pas si fréquent. Le bénéfice de l’autorisation soulagerait au-delà du monde agricole. Comme la SNCF, par exemple, qui épand massivement l’herbicide pour nettoyer ses voies et qui n’est guère emballée à l’idée de demander à ses agents d’entretien de prendre des binettes pour arracher les mauvaises herbes.

Et puis surtout, cela arrangerait quelques Etats qui feignent le refus mais espèrent sans le dire que l’autorisation soit donnée sans en apparaître les complices. C’est peut-être ça l’abstention créative. Ce n’est pas très courageux, mais c’est très politique, ce qui revient souvent au même, il faut bien le dire.

Nicolas-Jean Brehon, professeur à l’Institut des hautes études de droit rural et d’économie agricole.

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