Golfe d’Aden : le retour des corsaires ?

La résurrection de la piraterie dans le golfe d’Aden pourrait-elle, par un effet de ricochet, convoquer celle des corsaires ? L’hypothèse, improbable au premier abord pour le néophyte, est plus que jamais d’actualité alors que le marché de la lutte antipiraterie est en train de connaître un véritable boom économique.

Etant donné l’incapacité pour les marines occidentales et les bâtiments de guerre d’assurer une présence globale et permanente aux côtés des navires de plaisance ou de pêche, l’idée de recourir à une néoflibusterie gagne inexorablement en crédibilité. Au niveau du droit international, l’idée d’armer ces néocorsaires rencontre nombre de problèmes techniques et légaux : l’opposition de l’ONU qui redoute une dérive anarchique, la réticence de certains armateurs qui craignent à juste titre de voir éclater des fusillades à bord de tankers ou de chimiquiers, nonobstant la variété des cadres juridiques régulant le recours aux mercenaires. Il faudrait surtout modifier le droit de la mer qui interdit l’emploi de la force militaire par des employés non-gouvernementaux.

Pour remédier à cette difficulté matérielle, l’amiral Gortney, commandant la Ve flotte américaine, a proposé d’équiper les firmes privées de systèmes non létaux de nouvelle génération, comme les dispositifs acoustiques ou électromagnétiques. Des armes non létales, tout efficaces soient-elles, pourront-elles répondre au feu des mitrailleuses et des lance-roquettes ? La modification du droit de la mer et la réunion d’une convention internationale sont donc une priorité vitale pour remettre à plat les règles d’engagement pour les personnels de sécurité non étatiques. La réalité de la menace fait bien peu de cas des réformes du droit. De plus en plus de bateaux de commerce américains, russes et israéliens s’équipent en armement létal et un accrochage entre pirates et mercenaires israéliens a déjà eu lieu.

Cette solution a déjà été mise en œuvre, en toute discrétion, par les Etats-Unis. La firme Pistris fait depuis 2007 la chasse aux pirates dans le golfe d’Aden. Pistris dispose de deux navires de 65 mètres, d’hélicoptères armés, de vedettes pouvant atteindre une vitesse de 50 nœuds et d’un équipage d’une cinquantaine d’hommes par bateau. Le cas américain est tout à fait singulier puisque le Congrès a toujours le pouvoir, en vertu de la section VIII de l’article 1 de la Constitution, «de déclarer la guerre, d’accorder des lettres de marques et de représailles et d’établir des règlements concernant les prises sur terre et sur mer.» Survivance du XIXe siècle - les Etats-Unis n’ont jamais signé la Déclaration de Paris qui mettait fin en 1856 à la «course» - cette singularité constitutionnelle offre une marge de manœuvre exemplaire aux néocorsaires américains. Ceux-ci, affranchis des règles communes d’engagement, n’ont pas à référer au commandement militaire, peuvent lancer des opérations de leur propre chef, bénéficient en outre des capacités satellitaires de la Navy et leur action se trouve garantie par la protection diplomatique et l’extraterritorialité.

Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à recourir aux services de flibustiers : la société Background Asia Risk Solutions, basée à Hongkong, a par exemple joué un rôle majeur dans le dispositif antipirate des pays sud-asiatiques dans le détroit de Malacca et contribué à la désinflation spectaculaire des attaques.

Les cas américain et sud-asiatique sont spécifiques mais pourraient servir de point de mire aux autres puissances pour engager une réforme de leur droit maritime et légitimer ces délégations de souveraineté. Le climat sécuritaire est mûr et les choses s’accélèrent. Après la capture en septembre dernier du Faina, la firme Hollow Point a annoncé être en négociation avec l’armateur pour assurer la sécurité de ses bâtiments. Blackwater qui vient de se rebaptiser Xe, sur le point d’être mis hors jeu du marché irakien de la sécurité privée, réfléchit activement à un redéploiement de ses activités dans le domaine de la sécurité maritime. La firme d’Erik Prince dit avoir été sollicitée par une soixantaine d’armateurs et de compagnies d’assurances. Xe vient de déployer le McArthur, un vaisseau de 55 mètres qui accueille un équipage de 14 marins et qui dispose d’un hélicoptère dans le golfe d’Aden. La réactivation de la stratégie corsaire est donc plus que jamais d’actualité.

La France vient de déléguer une soixantaine de fusiliers marins pour protéger les thoniers français opérant dans la zone. Charge aux armateurs d’assumer les surcoûts. Une force régalienne au service d’intérêts privés ? Une délégation de souveraineté qui interroge : préambule à l’émergence de nouveaux Surcouf ou façon hypocrite de court-circuiter les sociétés militaires privées françaises d’investir le secteur ? Une chose est sûre, la France ne pourra pas ignorer longtemps la question.

Georges-Henri Bricet des Vallons, chercheur-associé à l’Institut Choiseul et à l’Institut prospective et sécurité en Europe. L’auteur a dirigé le numéro 8 de la revue Sécurité Globale, «La privatisation de la guerre», été 2009, éd. Choiseul.