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Luttes et imaginaires démocratiques en Afrique (1/7)

Extrait de la série «Figures» de Malala Andrialavidrazana. (Photo DR)
Extrait de la série «Figures» de Malala Andrialavidrazana. (Photo DR)

Que peut-on attendre de ces démocraties dites à «adjectifs» (régime hybride, démocratie autoritaire, démocratie clientélaire) qui qualifient bien les limites de l’ouverture politique de nombreux pays du continent africain ? Il devrait y avoir peu de suspens dans les pays tenus en main par les présidents sortants qui ont de très fortes chances d’être réélus (Ouganda, Niger, Djibouti, Tchad). Dans ces cas-là, les formes de la démocratie libérale (des élections à intervalle régulier, une division apparente des pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif) cachent difficilement des pratiques connues de ces régimes (puissance du parti présidentiel, quasi-impossibilité d’alternance, intimidation de l’opposition, trucage électoral). Ces élections ne peuvent alors que renforcer un peu plus l’hégémonie du parti-Etat comme l’ont montré les résultats staliniens en Ethiopie en mai 2015 où le seul député de l’opposition n’a pu être réélu. Quant au club des présidents candidats au troisième mandat, il s’est encore élargi (Congo-Brazzaville, Congo-Kinshasa, Rwanda, Burundi) même si coups de force et révisions constitutionnelles aboutissent à des situations très contrastées sur le terrain qu’il s’agisse de la répression aveugle des opposants au Burundi ou du référendum plébiscite du Rwanda qui autorisera le président Kagame à se présenter une troisième fois en 2017. Les résultats, a priori, les plus incertains concerneraient finalement les pays où l’alternance politique est commune depuis plusieurs années (Zambie, Ghana, Bénin), l’annulation puis le report des élections à Zanzibar, en Tanzanie, constituant un cas particulier. A première vue donc, 2016 devrait creuser la ligne de partage des eaux démocratiques et autoritaires.

A première vue seulement, car l’expérience du Nigeria en 2015 et celle des «printemps arabes», qui ont surpris tous les observateurs, devraient avant tout inciter à la prudence. Il fallait beaucoup d’efforts pour imaginer que le pays le plus peuplé d’Afrique connu pour la faillite de ses services publics et engagé dans une lutte acharnée contre Boko Haram puisse parvenir à organiser l’année dernière la plus grande élection par carte biométrique du monde sans trucage et sans violence. Il en fallait tout autant pour penser que Buhari, un ancien dictateur de 72 ans, puisse incarner l’espoir d’une alternance, et se faire élire contre un parti jusque-là indéboulonnable. Le Nigeria n’est sans doute pas une démocratie mais qu’un parti politique, qui transcende les puissants clivages religieux et ethniques, l’emporte par une élection transparente témoigne bien d’une ouverture des possibles politiques.

En réalité, il faut certainement regarder au-delà du formalisme électoral pour comprendre qu’une partie significative du continent se démocratise contre toute attente. On le sait depuis longtemps, les revendications démocratiques ont transformé, depuis vingt-cinq ans, les conditions de l’exercice du pouvoir dans la plupart des pays du continent ne serait-ce qu’en banalisant le multipartisme, en libéralisant la presse écrite et numérique et en rétablissant la liberté d’association. Cette libération a développé de nouveaux imaginaires et a suscité de très fortes attentes. Dans de nombreux pays, faire la queue durant plusieurs heures en plein soleil pour voter, aller au dépouillement, et publier sur les réseaux sociaux les résultats par bureaux de vote, contraste nettement avec l’apathie ou la désillusion des électeurs dans les démocraties occidentales. Le vote biométrique pose des questions en terme de surveillance des citoyens mais, dans l’immédiat, les populations et les partis d’opposition de nombreux pays (Nigeria, Kenya, Ghana, Tanzanie, Tchad) y voient, à tort ou à raison, un rempart contre le trucage électoral. Les pratiques de résistance aux violations des droits de l’homme se sont enracinées si on pense aux journalistes, qui ont dévoilé les affaires de corruption à leurs risques et périls, aux avocats et aux juristes, qui ont refusé des positions lucratives pour défendre des militants ou encore à des rappeurs, comme Luaty Beirão (Angola), au Balais citoyen (Burkina) ou au mouvement Y’en a marre (Sénégal), qui défient ouvertement le pouvoir. Certains de ces mouvements - pas tous - font bouger les lignes. Ainsi, le coup d’Etat au Burkina Faso, en septembre 2015, mené par les membres de la garde présidentielle a échoué sous la pression de la rue, des syndicats, des mouvements citoyens et de la pression de la plupart des présidents des pays voisins. Cette mobilisation a aussi accentué les demandes populaires pour traduire en justice les assassins du président Thomas Sankara et du journaliste burkinabé Norbert Zongo.

En 2016, les demandes sociales ou économiques risquent de devenir l’expression d’un rejet du pouvoir dans un contexte économique morose marqué par la baisse des prix des matières premières et agricoles (pétrole, cuivre, or, café, cacao), l’augmentation des déficits budgétaires, la dépréciation de plusieurs monnaies nationales. On ne pense pas suffisamment, à cet égard, que les enjeux électoraux sont comparables à ceux des démocraties occidentales. Au Ghana, les débats sont dominés par l’emploi et le coût de la vie. En Zambie, la perte de milliers d’emplois dans les mines de cuivre et la progression de la pauvreté peuvent conduire la région du copperbelt (pourtant un bastion actuel du parti présidentiel) à voter pour l’opposition. En Afrique du Sud, pour la première fois dans l’histoire du pays, les grandes métropoles (Johannesburg, Pretoria, Port Elizabeth) pourraient voter pour l’opposition à l’ANC, qui a perdu une partie de sa crédibilité politique et de nombreux militants (450 000 entre 2012 et 2016). La contestation par les urnes rejoindrait alors les milliers de mobilisations dans les townships contre le manque d’accès aux services de base (eau, électricité, logement, sécurité).

Dans les pays plus autoritaires, les mobilisations partielles, localisées et en situation de contrainte nous en disent plus que les rendez-vous électoraux et s’expriment sous la forme du dissentiment populaire, de la colère ou de l’émeute. Un exemple significatif est celui de l’Ethiopie dont plusieurs observateurs déploraient, il y a peu, l’anomie politique. En dépit du renforcement de l’encadrement de la société par le parti-Etat, les mobilisations restent possibles. La dernière en date est la contestation du plan d’urbanisme d’Addis-Abeba, de l’accaparement des terres et du déguerpissement de dizaines de milliers de paysans oromo, qui ont conduit à des mobilisations étudiantes sans précédents depuis 2014 (sit-in, boycott de cours, manifestations). Elles se sont intensifiées, ces derniers mois, en dépit d’une répression sanglante et aveugle (qui aurait fait, d’après certaines sources, au moins 150 morts).

L’année 2016 ? elle risque d’être électorale comme les autres, mais nombre de présidents auront très probablement à faire face aux attentes démocratiques immenses et aux mouvements de colère lorsque la voix des urnes demeure si ouvertement bafouée.

Par Laurent Fourchard, Directeur de recherches au Ceri, Sciences-Po.

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