Google condamné par la Commission européenne : « Assiste-t-on à une offensive contre les multinationales ? »

Après Apple, la Commission européenne a condamné un autre géant du Web, Google, à une amende record de 2,4 milliards d’euros. Assiste-t-on à une offensive d’ampleur contre les multinationales américaines ?

La condamnation d’Alphabet, la maison mère de Google, est certes marquante mais pas exceptionnelle. L’amende est très lourde, mais elle correspond à un abus de position dominante de vaste ampleur portant sur treize pays et sur plusieurs années. Elle est un record pour une firme seule, mais pas pour une affaire de concurrence européenne : le cartel des constructeurs de camions détient toujours le ruban bleu avec 2,9 milliards en 2016.

De plus, elle n’est pas définitive. Google paiera in fine peut-être moins si la Cour de justice de l’Union européenne revient sur la décision de la Commission, ou au contraire bien plus car une récente directive de 2014 facilite le recours des tiers devant les tribunaux pour obtenir des réparations.

Sévérité croissante

Reste que le cas Google s’inscrit dans une sévérité croissante de la Commission européenne, dont témoigne la courbe ascendante des amendes. On peut y voir une conséquence rationnelle de l’élargissement (plus le marché est large, plus les pénalités sont lourdes) et de l’amélioration des moyens de détection des comportements délictueux.

En témoignent des cas récents de condamnations, que ce soit contre des grandes entreprises américaines (Apple, Intel, Microsoft) ou européennes (Daimler-Benz, Saint-Gobain). Encore la Commission n’a-t-elle pas (encore ?) pris l’initiative de démanteler un grand groupe, comme les Américains l’ont fait avec la Standard Oil de Rockefeller, en 1911, ou le géant des télécommunications AT&T en 1982.

Il ne faut pas ignorer le rôle joué par la commissaire européenne à la concurrence, la Danoise Margrethe Vestager. En matière de concurrence, la personnalité du commissaire européen compte énormément car c’est un domaine où celui-ci décide presque seul, à partir du moment où il obtient l’accord du collège. Ni le Parlement européen ni les Etats membres ne peuvent bloquer le processus. S’il y a un domaine où l’Europe est fédérale en dehors de la monnaie, c’est bien en matière de concurrence !

Pour autant, faut-il laisser à la « dame de fer » danoise le flambeau du contrôle des multinationales ? Certainement pas, car ses moyens sont limités : elle ne peut poursuivre les entreprises que dans des cas très précis et après une longue enquête. Seule une régulation globale peut répondre au défi des multinationales du numérique, qui se jouent des frontières nationales.

Harmonisation fiscale

Si le cas Apple a mis en valeur le problème de la concurrence fiscale, il ne saurait se substituer à des accords européens sur une harmonisation fiscale minimale, par exemple sur la base d’imposition des sociétés, à défaut de taux communs. La lutte contre les pratiques d’évasion fiscale passe par une lutte sévère à l’échelle nationale, bilatérale et internationale, en particulier via l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

De même, les problèmes de régulation du contenu passent encore souvent par des accords avec les autorités nationales. Les autorités allemandes ont ainsi menacé de prendre des mesures coercitives si Facebook ne retirait pas rapidement et automatiquement tous les contenus haineux de ses pages. De l’autre côté de la Manche, la firme de Menlo Park a été la cible d’une campagne de la BBC, qui lui a reproché de ne pas avoir retiré les contenus pédophiles qu’elle lui avait signalés.

Ainsi, si l’on est en droit de se réjouir de cette amende, il ne faut y voir qu’une brique de plus dans la lente construction d’un édifice international de régulation des multinationales.

Laurent Warlouzet est l’auteur de « Governing Europe in a Globalizing World » (Routledge 2017).

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