Grâce à Obama, des millions d’entre nous ont osé rêver

Obama s’incline devant Jacob Philadelphia, 5 ans, qui voulait lui toucher les cheveux. Photo Pete Souza. The White House
Obama s’incline devant Jacob Philadelphia, 5 ans, qui voulait lui toucher les cheveux. Photo Pete Souza. The White House

Je ne passais pas un bon été, l’année où un sénateur jusqu’ici largement inconnu, nommé Barack Obama, monta sur scène pour prononcer le discours d’ouverture de la convention nationale démocrate. J’avais quitté l’université depuis quelques années et ne savais pas encore bien quoi faire de ma vie ; mes recherches d’emploi n’aboutissaient pas, et je vivais dans une chambre tellement étriquée que je parvenais à toucher ses deux murs opposés rien qu’en tendant les bras. Ce fut dans cette chambre, en cette soirée de juillet 2004, que j’ai regardé ce jeune homme noir s’avancer vers le podium, cet homme qui frappait dans ses mains et saluait la foule, en musique, sous les hourras de milliers de gens au-dessus desquels flottait le nom «Obama».

Un Africain : telle fut ma première pensée à la lecture de ce nom. Ma fierté fut immédiate - l’un des nôtres allait s’adresser à la nation. Etait-il, comme moi-même, un immigré de première génération ou un enfant d’immigrés ? De quel pays d’Afrique ? Peut-être du Cameroun - Obama aurait très bien pu passer pour un nom camerounais. Evidemment, nous n’étions pas arrivés à la moitié de son discours que j’avais déjà appris qu’il n’était pas un immigré, comme moi, et encore moins un Camerounais, mais cela n’y changeait rien - car à ce moment-là, je m’étais déjà reconnue en lui. Je fus bien sûr loin d’être la seule à voir ce que j’avais envie de voir en découvrant cet homme politique charismatique et fascinant. Barack Obama lui-même était conscient de produire cet effet, et se comparaît au test de Rorschach, le «test des taches d’encre» - plutôt que de voir celui qu’il était, les gens se forgeaient une image à partir de leurs histoires personnelles et de leurs propres points de vue.

Une fusée lancée

Ainsi, Barack Obama est-il devenu notre test de Rorschach national ; telle une fusée lancée vers l’infini, sa cote de popularité grimpa en flèche à mesure que des Américains issus des milieux les plus divers projetaient sur lui ce qu’ils voulaient voir. Il gagna le soutien de millions de jeunes, car ces derniers, en le regardant, voyaient en lui un homme jeune. Des Noirs ralliaient son camp, car ils voyaient en lui un homme noir. Pareil pour les intellectuels, qui voyaient en lui un homme instruit. Pour les croyants, qui voyaient en lui un homme de foi. Pour les hommes et les femmes attachés aux valeurs de la famille, qui voyaient en lui un bon père et un bon mari. Autant dire que ceux qui rentraient dans plus d’une de ces catégories avaient comme atteint le paradis politique. J’avais moi-même l’impression d’avoir trouvé le paradis - j’étais jeune, noire, instruite, croyante, et la famille constituait à mes yeux le socle d’une société prospère. Barack Obama ressemblait tellement à des millions d’entre nous que cela paraissait presque trop beau pour y croire, et pourtant, nous y croyions. Barack Obama parlait d’espoirs, de rêves, et tous ensemble, nous espérions et rêvions.

Nous rêvions de le voir remporter l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de 2008, et il la remporta. Nous rêvions de le voir gagner ces élections, et il les gagna. Nous espérions qu’une fois devenu notre président, Barack Obama porte notre cause à la Maison Blanche, exauce les vœux de chacun. Peut-être aurions-nous dû voir que certains d’entre nous allaient au-devant de déceptions. Peut-être aurions-nous dû savoir qu’un seul homme ne peut pas tout incarner à la fois. Peut-être n’aurions-nous pas dû nous projeter en lui de la sorte, mais beaucoup ne voyaient pas les choses ainsi - voilà où réside la beauté de l’espoir, qui vous permet de surmonter l’impossible. En tant qu’immigrée, l’un de mes nombreux espoirs était que notre nouveau président fasse tout son possible pour que reste vivante la représentation de l’Amérique que se faisaient les immigrants. Arrivés de pays lointains, nous croyions qu’il y avait quelque chose pour nous en Amérique - quelque chose qui nous permettrait de vivre une vie que nous ne pouvions connaître dans notre pays d’origine. Pourtant, lors des années qui ont suivi l’élection, j’eus l’occasion de discuter avec différents immigrants qui se demandaient si l’american dream deviendrait un jour réalité pour eux.

Pour beaucoup, en particulier ceux qui avaient élu domicile à New York, le prix des loyers était trop cher, les emplois intéressants hors de portée, les études impossibles à financer, sans parler des bonnes assurances maladie - sous bien des aspects, vivre en Amérique se révélait plus difficile que de vivre dans son propre pays. Mais nous étions tous d’accord sur un point : l’Amérique avait à nous offrir une chose qu’aucun autre pays au monde ou presque ne pouvait nous offrir - des opportunités. Parmi les immigrants que je connaissais, ceux qui étaient en situation irrégulière espéraient que Barack Obama leur ouvre la voie qui leur permettrait d’obtenir des papiers, lui qui mesurait le rôle que les immigrants avaient joué pour bâtir la superpuissance qu’était devenue l’Amérique d’aujourd’hui. Si un homme pouvait obtenir un consensus en vue de trouver une solution à un problème concernant 11 millions d’immigrés sans papiers, cet homme était Barack Obama. Si un homme pouvait faire bouger un pays tout entier et l’amener à atteindre tout son potentiel, cet homme-là était ce brillant, cet audacieux rêveur qui inspirait adoration au monde entier. Alors nous nous disions, regardons-le faire.

Le «Maître du compromis»

Et Barack Obama l’a fait. Barack Obama a fait ce qu’il pouvait. A-t-il échoué sur certains points ? Oui, mais en faisant du mieux qu’il le pouvait, je crois. Ses détracteurs, bien entendu, ne seront pas d’accord avec moi. Ses détracteurs invoqueront sans doute l’attaque de Benghazi, Daech ou le réchauffement climatique comme preuves de ses flagrants échecs. Et peut-être auront-ils raison, mais ce que j’ai vu en Barack Obama était un président qui s’est ouvert au compromis en comprenant qu’un petit changement valait mieux que le statu quo.

Je ne peux imaginer que réaliser tant de compromis aura été facile pour lui ; même ses plus fervents supporteurs, dont je fais partie, se sont retrouvés découragés, au fil du temps, de le voir multiplier les compromis - de le voir constamment chercher le milieu plutôt que de défendre précisément les causes pour lesquelles nous pensions qu’il devait se battre. Mais il ne s’arrêtait pas. Barack Obama s’asseyait à la table de ceux qui semblaient déterminés à s’opposer à lui ; Barack Obama semblait devenu le «maître du compromis».

Ne pouvant mettre en place une assurance santé publique obligatoire et universelle, il créa un système grâce auquel des millions de citoyens et d’immigrants, moi y compris, purent trouver une assurance santé à un tarif abordable. En pleine crise économique, il conclut un compromis avec les républicains afin d’étendre les indemnités de chômage à ceux qui, comme moi, avaient perdu leur travail pendant la récession, et qu’il leur soit possible de subvenir à leurs besoins pendant qu’ils cherchaient ces nouveaux emplois tant convoités. Quand un compromis ne fonctionnait pas, il signait des décrets présidentiels, à l’instar de celui qui permit aux jeunes sans papiers, arrivés enfants dans le pays, de bénéficier d’un statut particulier. Convaincu qu’il fallait prendre en main cette politique d’immigration défaillante, Barack Obama tenta de collaborer avec le Congrès pour restructurer ce système, puis se battit pour porter son plan devant la Cour suprême afin de protéger de l’expulsion ces honnêtes travailleurs sans papiers. Ces deux missions se soldèrent par un échec, mais nous savons que Barack Obama s’est battu.

Barack Obama a été un grand président, et j’espère que l’histoire le jugera comme tel. J’espère qu’il restera de lui l’image d’un homme charitable, digne, qui éleva la voix et se battit pour tous les Américains. Il ne put combler les espoirs de tous ceux qui croyaient en lui, mais grâce à lui, des millions d’entre nous ont osé rêver. Barack Obama nous a montré comment devenir des rêveurs audacieux.

Imbolo Mbue, auteur du Voici venir les rêveurs. Traduit par Sarah Tardy.

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