Grandeurs et risques d'une renonciation

C'est en latin que Benoît XVI fit part aux cardinaux réunis en consistoire ordinaire, au terme de l'ordre du jour, de sa renonciation au ministère pétrinien et, avant tout, à son titre d'évêque de Rome.

La déclaration du pape fut strictement conforme au canon 332 §2 du code de droit canonique de 1983, en vertu duquel la validité d'une telle décision stipule qu'elle soit prise librement et exprimée clairement.

Elle n'a pas à être acceptée par quiconque. De tous les papes inscrits au répertoire des "démissionnaires" –sept–, seul Célestin V (San Pietro di Morrone), choisi sur la contrainte de Charles d'Anjou, renonça en 1294 après cinq mois d'exercice.

Or un véritable cérémonial de déposition fut organisé après vérification de la possibilité d'une renonciation. En sept siècles, la renonciation soumise à la défiance politique fut confiée à l'expression de la liberté.

C'est cette dernière que Benoît XVI invoqua en réplique à l'obligation évidente d'accepter, le 19 avril 2005, la succession de Jean Paul II mort en apothéose.

Le choix du grand théologien s'était imposé au Sacré collège dès le jour des funérailles de Jean Paul II, le 8 avril 2005. Le soir de son élection, Benoît XVI fut sifflé place Saint-Pierre et dès le lendemain les medias rivalisèrent dans les sarcasmes et les insultes à l'égard du "PanzerKardinal".

L'étiquette de "pape de transition", qui avait désigné Jean XXIII en 1958, redevint un jugement préalable.

L'OMBRE DE JEAN PAUL II

Il apparut très tôt que Benoît XVI ne s'imposait pas dans la charge tout en créant par touches successives u style : la persuasion par la clarté et la "restauration" (mot malheureux) pour compenser les excès d'un aggiornamento permanent.

L'énergie croissante du pape au fil des années et, notamment, après l'épreuve réussie des JMJ de Sidney (2008), tint probablement à la possibilité permanente d'une renonciation, à la différence de Paul VI et de Jean-Paul II qu'elle ne fit que troubler profondément.

On soutiendra que cette hypothèse fut souvent une pensée consolante face aux incompréhensions générées par trop d'audace, (le débat entre foi et raison à Ratisbonne), ou pas assez (le préservatif, mot que Benoît XVI fut le premier pape à prononcer mais pour le dénoncer).

Ces ambiguïtés fâcheuses ne minorent pas les grandes réussites du pontificat (trois encycliques dont la première exalte le désir érotique, presque tous les voyages, les ouvrages sur Jésus). Il leur a manqué l'éclat. Ou plutôt de pâtir de la comparaison incessante avec son prédécesseur.

L'ombre de Jean-Paul II fut la croix du pontificat de Benoît XVI dès le 19 avril 2005, en raison de la béatification par acclamation dès le jour des funérailles.

La mise en œuvre du procès, scandée par l'hésitation du pape, empêcha celui-ci de procéder à des réformes indispensables et réclamées, auxquelles son prédécesseur n'avait pas fait face en raison de sa maladie.

Benoît XVI dans les domaines de la morale, de la discipline et de la finance, procéda à des redressements qui rencontrèrent des réactions antagonistes fossilisées.

Vatileaks mit le feu aux poudres. Le pape fut isolé. Par cette renonciation, Benoît XVI reconnaît aussi implicitement qu'il n'a pas eu le courage de sacrifier la béatification de son prédécesseur à la modernisation d'institutions, telles les institutions financières, ou d'habitudes (dont le secret, funeste à la vie de l'Eglise et à son image).

UNE DÉCISION UNIQUE EN SON GENRE

Ce n'est pas le seul aveu que contient la décision du 11 février. Au-delà de l'affaiblissement physique, cause première, Benoît XVI perçut de jour en jour le décalage croissant entre sa formation humaniste et les modes contemporains de l'écriture et de la communication.

On prendra comme exemples les aveux touchants selon lesquels il se familiariserait avec Internet à la suite de la levée de l'excommunication des évêques lefebvristes ou l'ouverture d'un compte twitter au nom du pape.

Benoît XVI finit par estimer, non sans chagrin, que si la grandeur d'un homme se mesure à sa puissance de solitude elle revient aussi à accepter les limites d'un exercice de la responsabilité qui correspond à la hauteur de sa mission.

Il n'en reste pas moins que cette décision, unique en son genre, suscite plusieurs questions. La plus importante touche à la jurisprudence.

Après la limite d'âge fixée aux cardinaux électeurs par Paul VI en 1967, 80 ans, ne faudra-t-il pas en fixer une pour le ministère pétrinien, identique ou plus longue ?

En viendra-t-on à inscrire ces dispositions dans une Constitution ou dans le code de droit canonique ? Seront-elles laissées au libre arbitre des successeurs? Voire même, ce précédent ne pèsera-t-il pas psychologiquement sur le ministère des prochains pontifes ?

Enfin, l'affaiblissement physique notoire et avoué de Benoît XVI n'incitera-t-il pas les conclaves futurs à porter leur choix sur un candidat pouvant régner quinze ans, donc d'un âge oscillant entre 65 et 70 ans?

TÉMOIN MUET DE LA PROCHAINE ÉLECTION

Par ailleurs, la renonciation de Benoît XVI et son installation dans un couvent à l'intérieur du Vatican fait de lui un témoin muet de la prochaine élection, même s'il est clair qu'il s'en tiendra à distance.

On scrute déjà les derniers choix de Benoît XVI, le transfert du cardinal Scola de Venise à Milan, l'appel à Rome du cardinal Marc Ouellet (Montréal), sa phrase sur l'heure prochaine d'un pape africain, sa désignation d'un jeune cardinal philippin...

L'humilité et la réserve naturelle de Benoît XVI ne l'empêchent pas comme tous ses prédécesseurs d'avoir eu des préférences manifestes et hiérarchisées. Elles pèseront assurément dans le choix du conclave.

Benoît XVI sera le dernier pape observateur et acteur de Vatican II. Il sera aussi le premier pape du XXIe siècle qui aura rouvert le débat, abandonné au fil des temps, sur les conditions de l'exercice du magistère pontifical et l'usage du principe de collégialité dans l'Eglise romaine.

Philippe Levillain, historien, membre de l'Institut

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *