Grèce : l'erreur du FMI passée sous silence

En janvier, le grand macro économiste Olivier Blanchard a reconnu que le FMI s'était trompé au sujet de la Grèce. Ce n'est pas la première fois que l'efficacité de la stratégie imposée à la Grèce est remise en cause. Il y a en effet quelques mois, Olivier Blanchard déjà, Christine Lagarde, l'ancien directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn, mais aussi l'économiste de l'OCDE Reza Lahidji avaient déjà exprimé leurs réserves, mais c'est la dernière en date qui a provoqué des réactions.

Ainsi, un certain effort de décryptage est-il nécessaire, pour comprendre l'inertie systématique mais aussi les réactions anormalement tardives face aux mises en garde proférées contre les effets négatifs des mémorandums. Je pense ici à cette occasion tombée du ciel, le mea culpa du FMI, que le gouvernement grec a laissé filer sans chercher à l'exploiter. Et de l'autre côté, l'étranger qui s'efforce, à l'aide d'arguments peu convaincants, d'éluder la question. Autrement dit, le directoire de l'Union européenne (UE) soutient la politique erronée d'austérité au lieu de la corriger.

Il est fort probable que si les haut-placés au FMI ont tant tardé à reconnaître leur erreur, c'est parce qu'ils ont conscience que la dette grecque n'est pas viable. Je rappelle ici que d'après la bibliographie existante sur ce sujet, toute dette qui dépasse 90 % du PIB est considérée comme non gérable. Et on espère que la dette grecque qui, malgré l'alchimie électorale de juin 2012 a été décidée viable, devrait dans le meilleur des cas, être d'à peu près 124 % du PIB en 2022. Dans de telles conditions, l'aveu officiel d'Olivier Blanchard n'est rien d'autre qu'une exhortation à l'abandon immédiat de cette malheureuse stratégie imposée à la Grèce.

Et c'est cela qui a déclenché des réactions contradictoires au sein et à l'extérieur de la Grèce. D'abord, l'aveu d'Olivier Blanchard a provoqué un malaise évident au sein du directoire de l'UE, qui est même allé jusqu'à en démentir la teneur, tandis que les gouvernants Grecs se sont retrouvés extraordinairement désarmés, à croire que la nouvelle ne les concernait pas, et évitaient toute friction avec le directoire. Ces réactions ambigües semblent refléter l'opposition rampante entre le FMI et l'UE. Leur désaccord ne se limite pas seulement à la gestion de l'UE en Grèce, mais concerne surtout le régime de l'austérité sauvage qui étouffe tout espoir de croissance en Europe, menaçant d'entrainer avec elle aussi les Etats-Unis dans une profonde récession.

DÉVALUATION INTÉRIEURE

Tout laisse à penser que la vraie raison du malaise de l'UE est idéologique. La Grèce a en effet été utilisée comme arène d'où ne sortirait gagnante que l'une des deux cosmothéories : l'interventionnisme de Keynes opposé au libéralisme de Hayek et Friedman qui voient la disparition de l'Etat. S'agissant des mémorandums et de ses effets, on ne peut parler d'erreur mais plutôt d'une expérimentation, la première de l'histoire économique, ce qui est strictement interdit dans les sciences sociales. Cette expérimentation consiste en la dévaluation intérieure. Les maîtres d'œuvre de cette opération ont toujours su qu'elle aboutirait à la disparition irrévocable et définitive de l'héritage de Keynes, puisqu'elle démontrerait que l'austérité, rien que l'austérité mène à la croissance.

Mais l'expérience a tourné au fiasco. Un énorme fiasco. Elle est par contre responsable de 4 000 suicides, de l'appauvrissement de 3,5 millions de personnes, de la baisse de deux ans de l'espérance de vie ; elle est responsable aussi d'un taux de chômage qui dépasse l'entendement, de l'explosion du nombre d'interruptions volontaires de grossesse et des abandons de nourrissons pour des raisons purement économiques, du démantèlement de vies humaines et de familles, du nombre incontrôlable des SDF dû à la destruction progressive de la classe moyenne, de l'insupportable spectacle des Grecs qui, au XXIe siècle, sont de plus en plus nombreux à chercher de quoi manger dans les ordures, du démantèlement de l'Etat-providence, et de bien d'autres horreurs impardonnables.

Bien que l'expérience "Hellas" ait été dès le début vouée à l'échec, le fanatisme presque religieux de la Troïka pour l'austérité en a repoussé le constat. Au contraire même, la Troïka a longtemps soutenu, et contre toute logique, que le plan de sauvetage ne fonctionne pas sous prétexte que les Grecs sont incapables de mettre en œuvre les mesures d'austérité qu'on leur impose. Mais la principale raison de cet échec, hormis l'acharnement farouche à l'austérité, est que ces mesures sont fondées sur des idées fausses. Pour exemple, citons la façon dont la Troïka envisage le problème de la fraude fiscale – qui est effectivement un problème important. A aucun moment, elle ne tient compte de la cause première.

Le taux de non-salariés par rapport à l'ensemble des travailleurs est effectivement trois fois plus élevé en Grèce que dans le reste de l'UE. Cette particularité exige naturellement des méthodes capables de la neutraliser, comme celle de N. Kaldor qui préconise une imposition progressive de la consommation et non du revenu. Toute aussi fausse est cette autre idée dont se nourrit la Troïka, la taille disproportionnée du secteur public grec. Notons simplement qu'en Grèce, le secteur public se situe lui aussi dans la moyenne européenne.

UN AVEU D'ÉCHEC

Et pourtant, la Grèce a été félicitée pour ses prétendus progrès par l'OCDE, par Angela Merkel mais aussi par le ministre allemand des finances particulièrement exigent, Wolfgang Schäuble. Alors, pourquoi s'acharnent-ils à rejeter la responsabilité de l'échec de la politique d'austérité sur la Grèce ? C'est ici qu'un aveu d'échec du FMI s'impose. L'UE n'était par contre ni prête ni disposée à reconnaître son erreur, et Mario Draghi, Oli Rhen, Jerry Rice, Wolfgang Schäuble, Christine Lagarde, pour ne citer qu'eux, se sont empressés d'exprimer leur désaccord par une pluie de déclarations publiques, minimisant l'erreur de calcul du FMI, la mettant en doute, et puis démentant les propos d'Olivier Blanchard, allant jusqu'à émettre très formellement que son point de vue ne représente pas la position officielle du FMI. Et pourtant, c'est bien l'UE qui a demandé en renfort le FMI – expert en la matière – afin d'élaborer ensemble un plan de sauvetage de la Grèce.

Malgré l'erreur de calcul du FMI, responsable de l'augmentation de presque 200 % de la récession par rapport aux pronostics, et de la tiermondialisation du pays, la politique d'austérité dévastatrice est poursuivie. Sans qu'il soit possible d'en discuter ou de demander des explications. Autrement dit, "suis-moi et tais-toi".

Pendant ce temps, les défenseurs des mémorandums, à l'intérieur des frontières ou en-dehors, assurent qu'ils commencent à discerner une lueur dans l'obscurité. Premièrement, grâce à l'accélération des réformes, même si leur teneur reste difficile à cerner, notamment celles qui ont été mises en place sur une base complètement fausse et qui ont des effets dramatiques. Deuxièmement, en attirant des investissements étrangers qui en fait – personne ne peut le nier – consistent en un grand bradage dans l'urgence, à un prix défiant toute concurrence : ports, aéroports, chemins de fers, îles, immeubles, côtes, services publics, sources de richesses inexploitées à haut rendement potentiel.

L'erreur reconnue du FMI a été une belle occasion manquée d'interrompre la course folle de la Grèce vers le précipice.

Par Maria Negreponti-Delivanis, ancien recteur et professeur à l'Université de Macédoine

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