Grèce : un problème de méthode pour l’Europe

Qui se placera « au-dessus de la mêlée » ? Qui comprendra qu’il faut changer de la zone euro tient à une erreur simple, répétée avec une constance qui confine à l’aveuglement : la monnaie unique a été gérée comme si elle ne l’était pas. L’euro, monnaie commune de 330 millions d’Européens, et de dix-neuf pays, appelle des décisions communes, légitimées selon des procédures démocratiques communes. Avec leurs visions cloisonnées, nos dirigeants se trompent d’échelle. Quelques créanciers claquemurés derrière des portes closes ne peuvent imposer des programmes macroéconomiques déséquilibrés à des pays entiers. La Grèce ne peut pas non plus décider seule du destin de la monnaie commune.

En 1992, les gouvernements ont mis en place une Banque centrale indépendante tout en écartant l’idée d’un cadre démocratique commun où seraient effectués, en toute transparence, et à la majorité, les choix économiques et sociaux nécessaires au succès de cette monnaie. À supposer que la BCE soit calquée sur la banque centrale allemande, comme on le dit, le gouvernement fédéral élu et responsable devant un parlement, a tout simplement été « oublié ». Les décisions budgétaires comme les réformes du marché du travail ou de la protection sociale, sont restées nationales. Au lieu de converger, les économies de la zone euro ont divergé. L’une des raisons du chômage est là.

Début 2010, quand la crise grecque a éclaté, une phase d’improvisation intergouvernementale était sans doute inévitable : la zone euro n’avait à sa disposition ni fonds de secours, ni procédures d’urgence. Mais le recours aux budgets nationaux a brouillé les enjeux : il était moins important de trouver des solutions pour l’ensemble de la zone euro que, pour chaque dirigeant national, de satisfaire sa propre clientèle. Ces dernières années, les ministres des finances comme les chefs d’Etat et de gouvernement ont pris en catimini des décisions lourdes de conséquences, comme de refuser une réduction de la dette grecque, sans grand souci de l’arithmétique.

Le Parlement européen souhaitait auditionner publiquement la troïka et faire la lumière sur son activité. Mais il a été mis de côté. Au mois de mai, des députés ont tenté en vain d’organiser un débat public sur la Grèce, en présence à la fois d’Alexis Tspiras et des autres protagonistes. Jamais les gouvernements n’ont voulu admettre qu’ils avaient intérêt à convaincre les peuples plutôt que de les contraindre. Malgré les dégâts dans les opinions, le bricolage intergouvernemental a fini par être vu comme une gouvernance « normale », et le référendum unilatéral passe pour un modèle de démocratie. Un seul peuple sur 19 s’exprime et « tout va très bien, Madame la Marquise » ?

Si le Premier ministre grec vient enfin mercredi 8 juillet devant le Parlement européen, aux côtés de Jean-Claude Juncker, cela peut être un tournant de la crise. Idéalement, Mario Draghi et le Président de l’eurogroupe devraient aussi expliquer leurs positions en public, dans l’enceinte de la démocratie européenne.

Le véritable intérêt des Grecs

Les dirigeants ont ainsi réussi l’exploit de rendre impopulaire un effort d’assainissement, et de lutte contre la corruption et le clientélisme, qui est dans l’intérêt des Grecs eux-mêmes. La méthode erronée a disqualifié le fond. Finiront-ils par reconnaître qu’ils ont tragiquement monté les Européens les uns contre les autres ? Cette dérive a été rendue possible par le caractère autocentré du débat. Vue d’autres continents, l’absurdité de la fragmentation européenne saute aux yeux. Nous avons voulu faire une monnaie unique. En peu de temps, l’euro est devenu une devise solide, présente dans les réserves des grandes banques centrales. Si nous voulons continuer à être crédibles (et à financer une dette qui, pour la France atteint les deux mille milliards), il est important que l’administrateur d’un fonds américain ou chinois soit convaincu que nous sommes unis. Notre crédibilité collective est jugée par d’autres. Ils seront d’autant moins indulgents qu’ils seront inquiets pour leur argent. S’ils perdaient confiance, les répercussions économiques et sociales seraient redoutables. La question de l’achèvement démocratique de la zone euro se pose aujourd’hui dans des termes nouveaux : ce n’est pas une fantaisie de juristes, c’est une nécessité pour assurer notre prospérité.

En 1950 aussi, la France était dans une impasse. Robert Schuman a alors choisi de reprendre la main en faisant à l’Allemagne une offre inattendue. François Hollande, chef de l’Etat qui accueille le Parlement européen, peut faire de même, en rompant avec le refus de tous les gouvernements français successifs, depuis Maastricht, de doter la zone euro d’un cadre démocratique. En ouvrant ce débat, le Président donnerait à l’Allemagne un signal de confiance tout en la plaçant devant ses responsabilités. Il rassurerait les pays moins peuplés qui aspirent à un système plus transparent et plus équitable, condition du retour de la prospérité. Au lieu de faire l’intermédiaire entre Nord et Sud, le Président Hollande devrait se placer au-dessus de la mêlée. Chef de l’Etat qui accueille le siège du Parlement européen, il devrait travailler à promouvoir la démocratie et, dans le même temps, à créer le cadre d’une croissance durable. La méthode des petits compromis intergouvernementaux a échoué. Il faut passer à autre chose. Si la France redevenait la France, le pays qui a donné naissance à l’Europe unie et l’a si souvent fait avancer, l’espoir pourrait revenir.

Sylvie Goulard, députée européenne (ALDE)

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