Guerre commerciale : « La Chine a pu apprendre à décrypter les postures de Trump »

La guerre commerciale n’est certes pas une nouveauté, mais sa réapparition, sous l’impulsion de Donald Trump, présente plusieurs singularités. En premier lieu, les hausses de tarifs douaniers annoncées et souvent mises en application par les Etats-Unis visent tantôt l’ensemble d’une catégorie de produits importés, (aluminium, acier, produits manufacturés…), tantôt un pays particulier (la Chine) – les deux types de mesures n’étant pas exclusifs. En second lieu, le président américain utilise l’arme du commerce international à des fins strictement stratégiques, comme dans le cas des mesures frappant les pays qui commercent avec l’Iran. Il est donc nécessaire de partir des postures stratégiques adoptées par les Etats-Unis au niveau mondial.

Qu’il s’agisse de commerce ou de sécurité, le slogan « America First », qui résume l’objectif du président Trump, se caractérise d’abord par le rejet de toute procédure multilatérale. Traduit en termes de théorie des jeux, Trump rompt avec l’approche « coalitionnelle » pour celle de jeux non coopératifs.

Peu d’études ont encore été réalisées sur le sujet. L’une d’elles décrit la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine sous la forme d’un « chicken game » (« jeu de la poule mouillée »), un modèle appliqué en matière de rapports de force militaires et d’escalades stratégiques (« The Conundrum of US-China Trade Relations Through Game Theory Modelling », Jason Yin et Michael Hamilton, Journal of Applied Business and Economics, n° 20/8, 2018). Chaque pays dispose de deux stratégies : l’une, agressive, consiste à augmenter ses tarifs douaniers et à entraver sélectivement les exportations de son adversaire ; l’autre, passive, revient à ne pas répliquer aux actions ou aux menaces de l’adversaire. Si les Etats-Unis et la Chine choisissent tous les deux en même temps une stratégie agressive, ils seront l’un et l’autre perdants, sans parler des conséquences externes sur l’ensemble du commerce mondial.

Vulnérabilité respective

Mais les données du jeu sont plus complexes pour deux raisons principales : d’abord, pour chacun des deux pays, l’impact final du choix de leur stratégie dépend de leur vulnérabilité respective. Ainsi, compte tenu du poids et de la structure des deux économies, il a été calculé que la Chine était plus vulnérable que les Etats-Unis aux stratégies offensives de son adversaire. Il en résulte une asymétrie en faveur de ceux-ci, exploitée jusqu’à présent par Donald Trump. Ensuite, il ne s’agit pas d’un jeu à un coup, mais plutôt d’un jeu dynamique à plusieurs séquences, dont les premières se sont déroulées entre 2017 et 2018, sous l’impulsion de Trump, fort de l’asymétrie dont bénéficiaient les Etats-Unis.

Or cette dimension temporelle change la nature du jeu. Son déroulement transmet à chaque séquence des informations aux deux adversaires, qui sont susceptibles d’en faire un usage stratégique. La Chine a ainsi pu apprendre à décrypter les postures de Trump à travers les différentes séquences qui se sont succédé entre 2017 et 2018. Si son infériorité est patente tant que la guerre commerciale se joue sur le relèvement des tarifs douaniers, il n’en va plus de même lorsqu’elle frappe les ventes et les achats directs de différentes catégories de produits et certains services financiers. Selon plusieurs évaluations, l’arrêt des achats de matériel aéronautique et de soja aux Etats-Unis permettrait même à la Chine de retourner en sa faveur cette asymétrie par rapport aux Etats-Unis, dont on a vu qu’elle en était pourtant à l’origine la victime (rapports du Peterson Institute for International Economy 2017-2019).

Cette approche de la guerre économique entre les Etats-Unis et la Chine par la théorie des jeux reste toutefois encore assez rudimentaire. Pour la compléter, on peut introduire un raffinement qui consiste à intégrer dans les choix stratégiques de chaque joueur ses préférences sur les résultats attendus pour l’autre joueur. Chacun choisit alors sa stratégie en fonction de ses propres préférences, mais aussi de ce qu’il peut anticiper des préférences de l’autre. Il peut ainsi viser à dissuader son adversaire d’attaquer, ou de contre-attaquer.

Cette nouvelle dimension introduit une incertitude que peut chercher à utiliser l’un des joueurs à son avantage, comme en témoignent, par exemple, les volte-face successives de Trump vis-à-vis de son adversaire chinois. L’incertitude contribue en tout cas à expliquer les difficultés à interpréter la phase actuelle du conflit où, au terme du G7, les deux camps semblent s’interroger, chacun à leur manière, sur les intentions véritables de l’autre.

Christian Schmidt, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, est président de l’Association européenne de neuroéconomie.

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