Guerre commerciale : « La politique mercantiliste revient sur le devant de la scène »

La décision de Donald Trump, au printemps 2018, de rehausser les taux américains sur l’acier et sur l’aluminium puis de taxer un grand nombre de produits importés de Chine a engendré une véritable guerre commerciale. Actuellement, plus des deux tiers des importations américaines depuis la Chine font l’objet d’une taxe de 21,5 % en moyenne, et, en représailles, la Chine érige des droits sur 56 % des importations chinoises depuis les Etats-Unis à un taux moyen équivalent (21,8 %)(« US-China Trade War : The Guns of August », Chad Bown, Peterson Institute for International Economics, 26 août 2019). Le bras de fer entre les deux principales puissances devrait se poursuivre, Donald Trump ayant annoncé vouloir taxer la totalité des importations venant de Chine à partir du 15 décembre 2019.

Pour l’instant, l’affrontement semble tourner à l’avantage des Etats-Unis, dont les nouvelles barrières pèsent significativement sur la croissance chinoise, qui repose beaucoup sur les exportations et subit un net recul : le taux de croissance – 6,6 % en 2018 – devrait ne plus être que de 6,2 % en 2019 et de 6 % en 2020, d’après le FMI.

Si les Etats-Unis semblent avoir remporté une bataille, ils n’en n’ont pas pour autant gagné la guerre. Car dans le contexte actuel de très forte interdépendance des systèmes productifs, les hausses de coûts dues aux nouvelles taxes vont affaiblir les nombreuses entreprises américaines qui travaillent avec la Chine. Actuellement, 93 % des biens intermédiaires importés par les Etats-Unis depuis la Chine sont taxés, ce qui va déstabiliser la chaîne de valeur mondiale dont ont bénéficié jusque-là les deux pays.

Effets collatéraux

Cette guerre commerciale a aussi des effets collatéraux sur l’ensemble du commerce mondial : son volume a chuté de 2 % au quatrième trimestre 2018, et de 0,5 % au premier trimestre 2019. Les Etats-Unis, deuxième puissance exportatrice, pourraient donc bien subir un choc négatif en retour.

La situation actuelle rappelle a priori celle des années 1930, marquées par la récession et par le repli protectionniste des économies industrialisées de l’époque. Mais la crise de 1929 trouve son origine dans l’effondrement du système financier et monétaire, et non pas dans un regain de protectionnisme. Les hausses des droits et les dévaluations monétaires ne sont venues qu’ensuite, avec la loi américaine Hawley-Smoot en 1930, suivi de répliques dans les autres pays. Elles ont bien évidemment amplifié les effets de la crise, mais elles ne l’ont pas précédée.

Aujourd’hui, en revanche, la résurgence du protectionnisme américain est antérieure au ralentissement de la croissance mondiale. De plus, et surtout, la surenchère protectionniste de l’époque était circonscrite aux pays développés, parmi lesquels aucun n’avait clairement pris le leadership sur les autres. La protection était défensive – comment éviter la contagion de la crise – et non offensive – comment affirmer sa prééminence en affaiblissant son principal concurrent.

Lutte pour une position dominante

La position américaine actuelle est bien différente de celle des années 1930. Aujourd’hui première puissance mondiale, bénéficiant d’une bonne croissance et du plein-emploi, les Etats-Unis pourraient continuer d’accepter, comme ils l’ont fait depuis trente ans, un profond déficit commercial, notamment vis-à-vis de la Chine – déficit dont le financement repose sur l’émission de titres qui trouvent jusqu’ici preneurs. Mais pour Washington, ce déficit n’est désormais plus acceptable, car révélateur de la capacité de la Chine, pays encore émergent il y a seulement vingt ans, à mettre en cause leur hégémonie, notamment dans le champ des nouvelles technologies, ce qui est ressenti comme une réelle menace. Car l’empire du Milieu n’hésite pas à capter impunément les savoir-faire étrangers et à placer lui-même de nombreuses barrières à la concurrence et aux échanges.

L’affrontement actuel entre deux puissances qui visent chacune l’hégémonie et utilisent la politique commerciale pour préserver ou conquérir une position dominante nous ramène plutôt quelques siècles en arrière, entre le début du XVIe siècle et 1815, lorsque les Etats protégeaient leurs importations et développaient leurs industries d’exportation de façon à obtenir un excédent commercial, dont la contrepartie en métaux précieux leur permettait d’entretenir une armée et d’asseoir ainsi leur domination.

Cette politique, qualifiée plus tard de mercantiliste, revient aujourd’hui sur le devant de la scène. Pour un pays avancé comme les Etats-Unis, l’hypermondialisation du XXIe siècle est responsable de leur déficit, de leur désindustrialisation et de la hausse des inégalités, ce qui justifie pleinement un retour vers un contrôle étatique fort des relations avec l’étranger et un abandon du multilatéralisme mis en place à partir de 1944. Puisque le libre-échange a fragilisé leur suprématie, il leur semble normal de revenir à des protections massives pour la préserver. Face à eux, la Chine a su habilement jouer de l’opportunité que lui offrait son entrée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour fonder sa croissance sur les exportations, avec l’appui de politiques publiques et de subventions, et devenir ainsi le grand rival de la puissance dominante.

Bernard Guillochon est professeur émérite d’économie à l’université Paris-Dauphine, responsable du Cercle géopolitique de la Fondation Dauphine.

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