Guerre commerciale : « Pour l’Europe, c’est un moment de vérité »

Le président des Etats-Unis avait commencé fort. Dès le lendemain de son installation à la Maison Blanche, il retirait son pays du projet de Partenariat transpacifique, qui devait intégrer commercialement les deux rives du Pacifique, sauf la Chine, et demandait la renégociation de l’Alena, le traité de libre-échange nord-américain. Puis plus rien, ou presque, sur le plan commercial, comme une pause.

Profitant des règlements de comptes au sein de l’administration américaine, les « faucons » ont repris l’initiative. Donald Trump vient d’annoncer l’imposition de droits de douane de respectivement 25 % et 10 % sur l’acier et l’aluminium importés aux Etats-Unis. Et quand le président de la Commission européenne répond que l’Europe fera valoir ses droits et prendra des mesures miroirs contre des produits américains – ce qu’autoriseraient les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) –, le président américain double la mise en prévoyant dans ce cas des droits supplémentaires sur les automobiles européennes (allemandes) achetées par les consommateurs américains, proclamant que « les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner ».

Si la Chine est l’objectif principal – ou devrait l’être –, elle ne pèse que 6 % des importations américaines d’acier et d’aluminium. Ce sont donc les alliés des Etats-Unis – Europe, Corée du Sud, peut-être Canada – qui sont ciblés en priorité. La désinvolture du président américain n’étonne plus. Restrictions commerciales, escalade des rétorsions et contre-rétorsions, effets de contagion (car il faut bien vendre ailleurs les produits détournés des Etats-Unis)…, la menace est réelle pour toutes les économies majeures.

Un statu quo intenable

Pour l’Europe, c’est un moment de vérité. Elle est en première ligne et va devoir s’affirmer. L’épreuve est sérieuse tant elle peut être tiraillée entre intérêts et partis pris contraires de ses membres. Mais, dans le cas présent, les libéraux, généralement tétanisés face au partenaire américain, ne peuvent que s’en distancier, alors que le libre commerce et le multilatéralisme sont mis en cause.

Autre difficulté : l’Europe est dans un entre-deux. Elle doit inscrire son action dans le cadre de l’OMC et des règles existantes. Celles-ci sont la garantie d’un commerce ordonné et d’une résolution pacifique des conflits, par la norme. En même temps, elle ne peut se satisfaire du statu quo. Comme les Etats-Unis, elle est confrontée à la Chine, qui profite d’un système qui a été conçu avant qu’elle ne s’impose, ignorant ses caractéristiques si particulières, source de distorsions de concurrence d’un nouveau type. Pour reprendre l’expression de Clyde Prestowitz, un vétéran de l’administration Reagan, « les Chinois n’enfreignent pas les règles, ils jouent un jeu différent ».

L’Europe ne peut pas non plus se satisfaire du statu quo, parce que ses peuples n’en veulent plus. Le répit français contre le populisme, arraché grâce à notre système électoral, a été de courte durée, comme le montrent les élections récentes chez nos voisins. Même si le commerce est un bouc émissaire facile, l’Europe doit bouger et faire bouger le système.

L’enjeu est double. Préserver l’acquis multilatéral si les Etats-Unis persistent à se mettre en marge, et faire vivre une « OMC moins un ». Et faire pivoter le système commercial multilatéral, aujourd’hui bloqué et contesté, pour lui redonner une légitimité. Comme le prévoit son texte fondateur, l’OMC doit se mettre au service du développement durable. Il faut penser les nouvelles disciplines commerciales à l’aune de la lutte contre le réchauffement climatique et de l’accord de Paris. L’administration américaine semble vouloir remettre au goût du jour la « stratégie du fou » chère à Henry Kissinger. Peut-être a-t-elle également en tête sa boutade : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? » Mais l’Europe a changé. Elle veut exister. Allô, l’Europe ?

Par Philippe Delleur et Denis Tersen, membres du Cercle Freyssinet, réseau d’anciens responsables de la direction des relations économiques extérieures.

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