Guerre internationale en Libye

Les révolutions arabes se suivent et ne se ressemblent pas. Après l'extraordinaire succès des soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte, l'heure est à la répression au Yemen, à Bahrein, en Syrie et ailleurs. Mais les choses se sont encore plus aggravées en Libye, où la guerre civile s'est transformée en guerre internationale, avec l'intervention de la France, des Etats-Unis et de la Grande Bretagne dans le conflit. Après les deux guerres d'Irak (1991 et 2003) et celle d'Afghanistan (2001), c'est la quatrième fois en vingt ans que des pays occidentaux sont engagés dans des opérations militaires au Proche et Moyen-Orient.

Les conditions sont toutefois très différentes de celles des interventions précédentes. La portée en est cette fois limitée du fait que toute intervention au sol est exclue dès le départ. Un consensus international s'est dégagé sur le concept d'interdiction aérienne (no fly zone) et d'une résolution en ce sens du Conseil de sécurité, approuvée par plusieurs pays arabes. Les initiateurs ne sont plus les Etats-Unis, mais la France et la Grande Bretagne. C'est d'ailleurs cette partie diplomatique du problème qui explique à la fois le retard dans l'action - refusée d'abord par le G-8, puis par l'Otan, et intervenue au tout dernier moment, alors que la rébellion libyenne était sur le point d'être submergée par la contre-attaque du colonel Kadhafi - et ses difficultés actuelles et futures.

D'une part en effet, le "consensus arabe" risque de se retourner. Il a joué un rôle important dans la première phase, avec l'acceptation de l'interdiction de vol par la Ligue arabe et par l'Union africaine, la présence du Liban parmi les pays auteurs de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, la promesse d'un "soutien actif" de la part du Qatar, des Emirats arabes unis, du Maroc et de la Jordanie (ces quatre pays étaient présents au sommet de Paris le 19 mars), sans oublier l'engagement très actif des chaines arabes de télévision Al-Jazeera et Al-Arabya en faveur de la démocratie en Libye. C'est précisément cette participation arabe au processus qui a conduit Barack Obama à prendre le parti de ses diplomates contre l'avis de ses militaires, très réticents à se lancer dans une troisième guerre dans la région : il a accepté de durcir le texte de la résolution en y ajoutant l'engagement de prendre "toutes les mesures nécessaires" pour protéger les civils dans les affrontements en Libye - autrement dit des mesures militaires. Mais, l'action à peine engagée, celle-ci a été jugée "excessive" par le secrétaire général de la Ligue arabe et par les pays qui, en s'abstenant, ont permis son adoption (Russie, Chine), tandis que le "soutien actif" des pays cités plus haut se faisait attendre.

Une autre difficulté est que les zones d'interdiction aérienne, pas plus que les sanctions économiques (décidées dès février contre la Libye) ne suffisent à faire tomber les dictateurs. Le premier cas du genre est celui de la no-fly zone imposée par les Eats-Unis en 1991 sur deux zones d'Irak afin de protéger les populations kurdes des représailles de Saddam Hussein. Cette mesure n'a pas empéché la répression de se poursuivre à terre, ni le dictateur de prospérer encore plus de dix ans, jusqu'à son renversement par la guerre américaine "au sol" en 2003. Le second exemple est celui de la Yougoslavie: imposée par l'Otan en 1993, l'interdiction de vol ne parvint à imposer un accord de paix en Bosnie que deux ans plus tard - sans pouvoir empêcher le massacre de Srebrenica. Et il fallut attendre encore quatre ans - et des bombardements sur Belgrade, décidés sans l'accord du Conseil de sécurité - pour faire tomber le dirigeant serbe Milosevic.

En Libye aujourd'hui, les bombardements occidentaux devraient stopper, au moins pour un temps, la progression des troupes fidèles au colonel Kadhafi, mais probablement pas suffire à faire tomber ce dernier - sauf à s'intensifier jusqu'à viser sa personne, une option officiellement exclue jusqu'ici. Le pays est profondément divisé: les aspirations du peuple à faire tomber son régime ont été clairement démontrées par la propagation rapide des soulèvements dans presque toutes les régions du pays depuis le 15 février, mais la reprise en main de son armée et de ses militants par le "guide", le recours à la terreur et aux manoeuvres dilatoires, sur le plan de la diplomatie comme de la propagande, montrent qu'il n'est pas sans ressources. Au mieux, le guide même déchu pourrait exercer un pouvoir de nuisance en utilisant ses derniers partisans pour faciliter un exode massif de l'Afrique sub-saharienne vers l'Europe, voire encourager le terrorisme en s'alliant avec ceux qu'il accusait d'être derrière l'insurrection: Al-Qaïda au Maghreb islamique. Au pire, on assisterait à une partition du pays sur une base tribale, comme c'était le cas sous le roi Idriss jusque dans les années 1960. Entre les deux, une période plus ou moins longue de statu quo est à prévoir, comme on le voit en Côte d'Ivoire avec le maintien de Laurent Gbagbo quatre mois après l'élection du 29 novembre qui aurait du conduire à son départ. Dans tous les rgimes il est difficile de quitter le pouvoir, mais équand le pouvoir est absolu, la difficulté est absolue.

Michel Tatu


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