Guerre sisyphéenne à Gaza

Il n’existe que deux moyens d’utiliser le monopole de la violence légitime : la guerre ou la police. Les vraies difficultés d’Israël ont commencé lorsque les ennemis ont été remplacés par des délinquants et que la guerre a été remplacée par de la police à grande échelle, action perpétuelle, car la lutte contre les délinquants ne s’arrête jamais, et s’avère coûteuse sur la durée, au moins sur le plan humain. Près de 1 000 soldats et policiers israéliens ont ainsi perdu la vie pendant l’occupation du Liban sud et les deux Intifada palestiniennes.

Dans les années 2000, avec le développement des armes de précision à longue portée et l’édification de la barrière de sécurité, les Israéliens ont cru pouvoir résoudre ce dernier problème en évacuant certaines zones occupées tout en les gardant à portée des frappes. Cette stratégie a laissé le champ libre à des organisations hostiles comme le Hamas, qui, refusant de « jouer le jeu », ont pris soin de ne pas laisser apparaître de cibles susceptibles de constituer des objectifs militaires. Face à des miliciens fantassins ou des lanceurs de lance-roquettes, tous aisément dissimulables dans la population, les Israéliens ne pouvaient dès lors que frapper l’ensemble de celle-ci pour avoir une chance d’atteindre les premiers.

LE GOUVERNEMENT ISRAÉLIEN PIÉGÉ PAR L'ARMÉE

Cette évolution stratégique israélienne a coïncidé aussi avec la disparition des grands leaders historiques, seuls capables d’imposer des choix politiques forts, dans un système parlementaire très instable. Faute d’une volonté capable d’imposer une solution politique à long terme, le gouvernement est désormais piégé par cette armée à qui il doit sa survie et qui ne peut que lui proposer des solutions sécuritaires à court terme.

L’opération « Bordure protectrice » est ainsi, depuis 2006, la quatrième opération de même type contre le Hamas. Comme à chaque fois, le Hamas a répondu par une campagne de frappes qui s’avère toujours aussi peu létale pour les civils israéliens, qui, à ce jour, déplorent « seulement » trois victimes – neuf au total pendant les trois opérations précédentes. De leur côté, malgré les précautions et la précision des armes, les raids aériens ou les tirs d’artillerie israéliens finissent toujours, dans un espace où la densité de population dépasse 4 700 habitants par km2, par toucher massivement les civils. Ces pertes sont présentées comme inévitables et attribuées à la lâcheté du Hamas, comme si les soldats français avaient tué des milliers de civils afghans, dont des centaines d’enfants, en renvoyant la responsabilité sur les talibans qui se cachaient au milieu d’eux. Malgré ces arguments, la position d’Israël se trouve toujours affectée par ces massacres.

DEUX VOIES POSSIBLES

La nouveauté de cette opération est le niveau de pertes de Tsahal qui, avec 64 soldats tués, représente presque quatre fois le total des trois précédentes opérations. Lors de « Plomb durci », en 2008-2009, le rapport de pertes avait été de 60-70 combattants du Hamas tués pour un soldat israélien. Il est actuellement environ dix fois inférieur. Cette anomalie s’explique par les adaptations du Hamas qui, face à un adversaire ne variant pas ses modes d’action, a su contourner la barrière de sécurité par un réseau de tunnels d’attaque et par l’emploi de missiles antichars ou de fusils de tireurs d’élite capables d’envoyer des projectiles directs très précis jusqu’à plusieurs kilomètres. Cette double menace a imposé de renforcer la barrière d’une présence militaire, ce qui offrait déjà des cibles aux Palestiniens, et, pour tenter d’y mettre fin, de combattre dans les zones urbanisées de Gaza.

Pour Israël, le bilan de « Bordure protectrice » est donc pour l’instant très inférieur à celui de « Plomb durci » et de « Pilier de défense ». Il ne reste alors que deux voies possibles, celle de l’acceptation d’une trêve en se contentant de l’arrêt des tirs du Hamas pour proclamer la victoire ou celle d’une fuite en avant à l’issue incertaine afin d’obtenir des résultats plus en proportion avec les pertes subies.

A plus long terme, il reste à savoir combien de temps cette guerre sisyphéenne sera tenable. En 2002, une étude avait conclu que 50 % des Palestiniens entre 6 et 11 ans ne rêvaient pas de devenir médecin ou ingénieur mais de tuer des Israéliens en étant kamikaze. Douze ans plus tard, ces dizaines de milliers d’enfants sont adultes et rien n’a été fait pour les faire changer d’avis.

Par Michel Goya, directeur du bureau recherche du centre de doctrine d'emploi des forces.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *