Haïti et les enseignements du tsunami

La situation économique, sociale et politique d’Haïti n’avait pas besoin de ce coup du sort que lui a réservé ce séisme. Cette catastrophe rappelle par certains aspects celle de décembre 2004 et le tsunami qui, alors, avait frappé l’Asie. Dans les deux cas, on constate le caractère massif et dévastateur du phénomène naturel et les liens entre le «dedans» et le «dehors». La résonance internationale du tsunami avait été démultipliée par la présence de nombreux touristes étrangers. Celle du séisme en Haïti est amplifiée par la taille de la communauté humanitaire et onusienne présente dans le pays, mais aussi par l’importance numérique des diasporas haïtiennes en Amérique du nord et en Europe. Dans le cas de la France, il faut en outre considérer les liens culturels et la proximité géographique des Antilles françaises. Il y a là, du reste, un potentiel de compétences professionnelles qu’il faudra mobiliser. Toutes les conditions pour que «le protocole compassionnel» fonctionne à plein sont réunies et c’est tant mieux. Pour les ONG, la prise en compte des enseignements du tsunami n’est cependant pas sans intérêt.

Humanitaires et médias : à chacun son rôle.

Dans cette relation, parfois qualifiée «d’addiction réciproque», le rôle des humanitaires est de soigner, celui des médias d’informer. S’ils constituent d’indispensables relais des besoins existant sur le terrain et des réalités auxquelles sont confrontés les humanitaires dans le déploiement des actions, les journalistes ne doivent pas se transformer en agents d’une recherche de fonds qu’il faudrait stimuler à coups d’informations aussi inquiétantes qu’invérifiables. Les premières informations disponibles laissent à penser que les dégâts sont importants, les morts et les blessés nombreux. Les premiers jours vont être pour une bonne part consacrés à la nécessité de prendre en charge les personnes qui le nécessitent tout en réalisant un diagnostic précis des besoins. La première des solidarités étant toujours celle de la famille, des voisins, de la communauté religieuse.

L’impérieuse nécessité de la coordination

Le tsunami en Asie aura aussi montré combien est nécessaire une forte coordination sur le terrain pour éviter «une seconde secousse»: celle due à une incapacité à se répartir les tâches entre de nombreuses organisations. De ce point de vue, le tsunami aura aussi montré combien l’implantation préalable des ONG mobilisées sur l’urgence est gage d’une meilleure efficacité opérationnelle et d’une nécessaire complémentarité avec les autorités locales, évitant une course-poursuite à l’installation, qui peut aboutir à une effervescence humanitaire incontrôlable.

Pas de dogmatisme dans la définition de l’aide

On perçoit, d’emblée, dans le contexte d’Haïti que dissocier la réponse à l’urgence de la situation préexistante relève de l’exercice de style. L’aide devra certainement se poursuivre durablement, échappant au bout de quelques semaines à la pure logique de l’urgence immédiate pour entrer dans un processus de reconstruction. Sachons éviter tout dogmatisme dans la définition de ce que doit prendre en charge l’action humanitaire. Elle devra s’intéresser aux priorités que les Haïtiens eux-mêmes participeront à définir. Il convient d’insister sur le fait que sur place beaucoup d’associations locales, si leurs rangs ne sont pas trop décimés, sont autant d’indispensables partenaires.

La place d’Internet

Dans le cas d’Haïti, la générosité semble déjà forte. L’action des médias a contribué à faire de la réponse au tsunami l’intervention humanitaire internationale la plus généreuse et la plus rapidement financée de tous les temps, avec une générosité douze à treize fois supérieure à l’urgence moyenne des années précédentes. Aux Etats-Unis, la moitié des 324 millions de dollars des contributions ont été faites en ligne ; 16 des 20 millions de dollars collectés par le bureau new-yorkais de Médecins Sans Frontières l’ont été via Internet. Le corollaire est qu’aujourd’hui, aucune ONG ne peut prévoir avec précision les sommes qui lui seront confiées. Ni si ces sommes dépasseront les besoins relevant de la stricte réponse en urgence.

Ne pas oublier le contexte social et politique

La violence et l’insécurité préexistaient avant le séisme. Elles ne vont pas disparaître avec lui. Comme le tsunami n’a pas réglé le conflit au Sri Lanka. En particulier existe à Port-au-Prince une forte délinquance parmi une jeunesse désœuvrée. Renvoyée des Etats-Unis, elle a importé en Haïti de nouvelles formes d’organisation et de comportement. Elle reproduit celles dans lesquelles ces jeunes ont baigné sur le continent nord-américain au sein de bandes ultra violentes, usagères de produits stupéfiants puissants et destructeurs. De même préexistent des règles dans l’exercice du pouvoir politique dont le pays, comme dans une sorte de choc en retour, n’arrive pas à se défaire. Tellement absorbé à surveiller l’émergence d’un pouvoir autocratique qu’il semble préférer la paralysie politique à des décisions qui ne seraient pas assez consensuelles. Dans cette complexité, les intervenants humanitaires vont devoir se doter des compétences et rechercher des alliances locales capables de les prendre en compte et de contourner les écueils les plus grossiers. Il y va de leur efficacité comme de leur sécurité.

Pierre Micheletti, ancien président de Médecins du monde. Dernier ouvrage paru : «Humanitaire : s’adapter ou renoncer», éd. Hachette (coll. Marabout, 2008), 245 pp.