Haïti: face au Covid-19, les nations désunies?

A man uses a hammer to remove pieces of a coffin to make it fit inside the grave during the burial of a person killed during a month of demonstrations aimed at ousting Haitian President Jovenel Moise, at a cemetery in central Port-au-Prince, Haiti, Oct. 16, 2019. The image was part of a series of photographs by Associated Press photographers which was named a finalist for the 2020 Pulitzer Prize for Breaking News Photography. (AP Photo/Rebecca Blackwell)
A man uses a hammer to remove pieces of a coffin to make it fit inside the grave during the burial of a person killed during a month of demonstrations aimed at ousting Haitian President Jovenel Moise, at a cemetery in central Port-au-Prince, Haiti, Oct. 16, 2019. The image was part of a series of photographs by Associated Press photographers which was named a finalist for the 2020 Pulitzer Prize for Breaking News Photography. (AP Photo/Rebecca Blackwell)

Le début de l’épidémie de Covid semble avoir étonnamment préservé Haïti alors que la République dominicaine voisine est beaucoup plus durement touchée par le virus. Selon une première hypothèse, Haïti verrait pour la première fois de son histoire une épidémie longer ses côtes, et sa frontière avec la République dominicaine, sans s’engouffrer dans les immenses bidonvilles de Port-au-Prince, ni au plus profond des plaines, vallées et hauts plateaux qui relient les chaînes de montagnes du sud et du nord de l’île.

Dans les années 1980, le pays a dû faire face aux épidémies de diarrhée infantile qui était encore la première cause de mortalité des enfants de moins d’un an. Les décennies suivantes ont vu une autre épidémie, celle du sida, tuer près de 140 000 Haïtiens. Dans les années 2010, le choléra apparu après le tremblement de terre causa près de 10 000 morts. Pendant tout ce temps, la tuberculose continuait de faire des ravages, et seule la quasi-extinction du paludisme pouvait donner espoir.

A Haïti, pays de 11 millions d’habitants, les épidémies meurtrières se sont succédé à un rythme vertigineux et les Haïtiens ont appris que la «mort naturelle» n’existe pas. A Haïti, on meure toujours «à cause de». Et comme l’hypothèse que ce nouveau virus puisse épargner l’île serait un miracle auquel personne ne peut croire, le Covid-19 sera très probablement la cause des morts de demain. L’évolution de la fameuse courbe des cas et des morts depuis le début du mois de mai ne laisse plus de doute : Haïti, cette fois solidaire d’un drame planétaire, sait qu’elle va devoir affronter une fois encore la réalité de la mort contagieuse.

Tous acteurs d’un drame universel

Pour un pays si petit et si pauvre, l’avenir est d’une rare inquiétude. C’est que Haïti a compris que les Nations unies n’avaient jamais été aussi désunies, que chaque pays n’avait plus pour priorité que de protéger sa population et qu’il fallait désormais au peuple haïtien se préparer à ne pouvoir compter que sur lui-même. L’ironie est sévère : le Covid-19 nous rend tous acteurs d’un drame universel, de Paris à Port-au-Prince, et pourtant, les égoïsmes n’ont jamais été aussi féroces. Le vent de panique qui a recouvert la planète, nourri de nos inquiétudes personnelles et de nos peurs collectives, a parfois renforcé la solidarité «de proximité» mais il a exacerbé nos rivalités collectives.

Ce vent du nord qui a mené à la guerre des tarmacs entre pays riches pour détourner des avions de masques au prix de valises de billets, renvoie les pays pauvres à leur condition. Lorsque les pays européens rivalisent d’ingéniosité pour s’approvisionner au plus vite en tests biologiques, en équipements personnels ou en respirateurs, ils ne renvoient pas seulement un message sur ce que l’argent permet d’arrogance, ils rappellent aussi très concrètement aux pays pauvres que face à l’inquiétude universelle, la loi du plus fort, en l’occurrence la loi du plus riche, demeure.

A défaut de miracle, peut-être que des explications rationnelles expliqueront que certains pays aient été épargnés plus que d’autres. Mais le plus probable reste que face à un virus qui circule vite et malgré la jeunesse de la population haïtienne, les modèles épidémiologiques qui prédisent le pire se réalisent. Le nombre de cas confirmés n’a que peu de sens dans un pays qui ne dispose que de deux laboratoires pour réaliser des tests. Tous deux situés à Port-au-Prince, ils ont réalisé depuis le début de l’épidémie environ 2 500 tests. Haïti dispose de plateformes pour le diagnostic rapide de la tuberculose dans 41 centres en province et qui permettraient de multiplier par 30 le nombre de diagnostics. Mais ces tests ne peuvent plus sortir des Etats-Unis. Quant au nombre de morts, il est à craindre que les statistiques soient silencieuses, la résignation face à la maladie conduisant trop d’Haïtiens à affronter la maladie sans appeler l’aide d’un médecin ou d’un professionnel de santé.

L’attention nécessaire

Pour ce qui est des statistiques, l’avenir dira. Mais Haïti a un besoin urgent de faire mentir les vents de l’égoïsme et de la désunion car le drame humanitaire annoncé, dix ans après le tremblement de terre, pourrait emporter avec lui le pays tout entier, ses institutions fragiles et son économie déjà au bord du gouffre. Sur le plan sanitaire, la priorité est la prévention avec l’adoption par le plus grand nombre des gestes barrières simples et des mesures d’hygiène essentielles. Les médecins haïtiens ne se font aucune illusion : la prévention sera la meilleure arme contre le virus et les quelque 124 lits de réanimation ne feront aucun barrage si l’épidémie flambe. Mais pour organiser la prévention, les laboratoires doivent renforcer leurs capacités biologiques et réaliser des tests afin d’identifier rapidement les malades et agir auprès de leurs proches. Et pour aider les malades à passer le cap sans réanimation, il faudra aux hôpitaux ces extracteurs d’oxygène qui permettent d’aider à respirer au pic de la crise et dans l’espoir que «ça passe».

Mais le pays n’a pas seulement besoin d’aide pour soutenir son secteur sanitaire et l’impact de la crise mondiale risque de ne pas se limiter à l’épidémie. Haïti n’a pas seulement peur du Covid mais aussi de ses conséquences et en l’occurrence de la faim, car si le secteur agricole concentre la moitié des emplois, Haïti dépend très largement de ses importations de nourriture. L’instabilité de l’économie mondiale, le prix des matières premières, les coûts de transport, la désorganisation des filières logistiques laissent craindre qu’Haïti soit tout simplement oubliée sur la grande carte de la gestion de crise mondiale.

Quel que soit l’avenir, Haïti aura besoin de la solidarité internationale pour ne pas sombrer. Le peuple haïtien a des ressorts exceptionnels sur lesquels il a bâti son indépendance et avec lesquels il a pu surmonter des crises parmi les plus graves de ces dernières décennies. Au moment où l’Europe semble lentement sortir du confinement et peut-être de cette crise sanitaire dont les conséquences économiques et géopolitiques restent d’ampleur inconnue, si les pays les plus riches n’ont pas pour les plus pauvres l’attention nécessaire, notamment par des aides financières majeures, cette épidémie laissera sur nos consciences mondialisées ses traces mortifères bien au-delà du seul nombre de morts.

Par François Crémieux, directeur général adjoint de l’AP-HP, membre du comité de rédaction de la revue "Esprit" et Bill Pape , infectiologue, co-président de la commission multisectorielle de gestion de la pandémie de Covid-19 en Haïti

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