Hongkong : mort d’«un pays, deux systèmes»

Peu avant la rétrocession de Hongkong à la Chine en 1997, nous avions discuté avec Alain Touraine, mon directeur de thèse, du sort probable qui attendait la ville. Pékin ferait tout pour montrer au monde qu’il tiendrait parole et appliquerait «un pays, deux systèmes». Ce qui aurait aussi pour but de vendre ce modèle à Taiwan. Mais la nature totalitaire du régime ne pourrait tolérer à long terme un territoire libre en son sein. Tôt ou tard, il supprimerait l’autonomie des Hongkongais. D’ailleurs il ne s’agirait en fait que d’une répétition : au moment où les communistes entrèrent à Shanghai en 1949, ils rassurèrent les Shanghaïens : tout serait pareil. On sait ce qui se passa après.

Il est triste de constater que cette prédiction se concrétise. Comme l’avait confié Li Rui, ancien secrétaire de Mao, les résolutions prises par le Parti ne se font que de manière opportuniste, en fonction des besoins. C’est selon cette logique instrumentale que Pékin a inventé «un pays, deux systèmes». Quand il n’en aura plus besoin, il n’hésitera pas à y mettre fin. Si on retrace l’histoire des rapports entre Hongkong et le régime communiste, cette dimension instrumentaliste est présente dès le début.

En 1949, les communistes sont sur le point de conquérir la Chine entière. Mao Zedong et Zhou Enlai ordonnent alors que leurs troupes s’arrêtent à la frontière avec Hongkong sous administration britannique. Leur directive à propos de cette ville est Changqi dasuan, congfen liyong («calculer à partir d’une perspective à long terme, l’exploiter au maximum»). Peu après, cette stratégie apporte des fruits au régime nouveau-né. En pleine guerre de Corée, le monde occidental lui impose un embargo. Débute alors une période importante de multiples trafics via Hongkong : médicaments, essence, équipements… pour ravitailler une Chine coupée du monde. Sans cela, l’histoire du régime communiste chinois serait bien différente.

Entre-temps, profitant de la fuite des capitaux et des talents venus de Chine communiste, bénéficiant d’une conjoncture très favorable au développement suite à la guerre de Corée, du Vietnam, à la renaissance économique du Japon, Hongkong connaît l’essor et devient l’un des dragons asiatiques. Les institutions juridiques britanniques garantissant les libertés individuelles contribuent largement à cette réussite. La démocratisation reste pourtant lettre morte dans un contexte de guerre froide.

Dans les années 80, suite à l’affirmation identitaire croissante des Hongkongais, l’accélération des discussions entre Londres et Pékin sur le sort de Hongkong après 1997, la question de la démocratisation resurgit. Rappelons qu’une grande partie des Hongkongais avait fui la Chine depuis l’instauration du régime : près d’un million les trois premières décennies. Pour eux, malgré la promesse des dirigeants chinois de «respecter le style de vie, les institutions existantes à Hongkong», revoir un pouvoir communiste est un cauchemar ; une démocratie est le moyen nécessaire pour préserver la liberté.

Dans ce contexte, le Premier ministre Zhao Ziyang répondit aux étudiants de Hongkong dans une lettre promettant une élection démocratique après la rétrocession. En décembre 1984, la déclaration conjointe des gouvernements chinois et britannique concernant Hongkong affirma le respect de l’indépendance juridique et l’autonomie administrative quasi totale pour les cinquante ans à venir. Or, plusieurs diplomates chinois ont récemment déclaré que ce n’est déjà «plus valable».

Si la réforme des années 80 permet encore aux Hongkongais une certaine confiance en «un pays, deux systèmes», le véritable tournant s’opère en 1989. Après avoir largement soutenu le mouvement de Tiananmen, les Hong- kongais ont été terriblement choqués par la répression. Désormais, le soutien au mouvement démocratique en Chine et la revendication d’une démocratie à Hongkong deviennent combat conjoint. L’érosion de l’ancien système juridique et la disparition progressive de leurs libertés après la rétrocession font de la démocratisation un enjeu crucial pour beaucoup.

En réaction, Pékin resserre l’étau par tous les moyens pour freiner la revendication démocratique, repoussant sans cesse l’échéance d’une élection libre du chef de l’exécutif, y compris par des projets de loi visant à rétrécir l’espace de liberté. En 2003, un projet dicté par Pékin donnant un grand pouvoir au gouvernement hongkongais pour incriminer au nom de la sécurité nationale, provoque une énorme manifestation, puis est abandonné afin de calmer le mécontentement. Mais en 2014, Pékin a mis fin à l’espoir des Hongkongais de voir une élection libre après des années de discussion. Cela a déclenché le mouvement protestataire des «Parapluies», référence aux parapluies des manifestants se protégeant de la répression policière. Le mouvement échoue et se solde par plusieurs arrestations et condamnations.

Cinq ans après, le 9 juin, un million de protestataires est redescendu dans la rue. Le déclencheur est un autre projet de loi visant à extrader les «criminels» vers le continent où l’inculpation et la condamnation arbitraire sont monnaie courante. Ces dernières années, plusieurs enlèvements arrestations par les policiers chinois à Hongkong sans aucune procédure juridique, se sont déjà produits. La dernière ligne est ébranlée. Le gouvernement hongkongais plus que jamais fait preuve d’intransigeance pour faire passer la loi. De leur côté, les manifestants montrent également leur détermination à exiger le retrait. Trente ans après Tiananmen, la logique de l’affrontement réapparaît.

Coup de théâtre : après des violences policières contre les manifestants, une manifestation géante de 2 millions de participants vêtus en noir le 16 juin, Carrie Lam, cheffe de l’exécutif hongkongais a annoncé la suspension sans délai du projet. Ce recul s’explique par cet acte de force, et la rencontre à venir lors du G20 entre Xi Jinping et Trump au Japon, déterminant pour la guerre commerciale sino-américaine. Il ne s’agit donc que d’une victoire temporaire pour les manifestants.

Chacun le sait, sans le rôle primordial qu’a joué Hongkong pour le développement de la Chine dès le début des années 80, elle n’aurait certainement pas connu de réussite dans sa politique d’ouverture et de réforme. Pour Pékin, le moment est pourtant venu de tuer la poule aux œufs d’or, afin d’éviter qu’elle ne soit un coq criant la liberté. Le modèle «un pays, deux systèmes» est bel et bien mort. Reste à savoir quelle crédibilité on peut encore accorder au discours de Pékin justifiant sa version de la coexistence paisible «un monde, deux manières de gouverner», entre un système démocratique ou dictatorial.

Lun Zhang, professeur des universités à l’université de Cergy-Pontoise. Il est l'auteur de : la Chine désorientée, ECLM (2018) et avec Adrien Gombeaud et Ameziane de la BD : Tiananmen 1989. Nos espoirs brisés, Seuil-Delcourt, 2019.

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