L’image était d’autant plus belle qu’elle était inespérée il y a encore quelques mois : le ministre des affaires étrangères yéménite, Khaled Al-Yamani, serrant la main au chef des forces rebelles houthistes Mohammed Abdel Salam, le 13 décembre, sous les yeux du secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres.
L’accord conclu au château de Johannesberg à Rimbo, près de Stockholm (Suède), au terme d’une semaine de consultations, avait suscité des espoirs de voir se normaliser la situation au Yémen. La priorité était donnée au rétablissement de la confiance entre les parties, matérialisé par l’échange de prisonniers (15 000 en tout), à la conclusion d’accords de cessez-le-feu dans les régions touchées par la famine, ainsi qu’à l’évacuation du port d’Hodeïda, contrôlé par les houthistes, par lequel transite l’essentiel de l’aide humanitaire (80 %) au Yémen.
Plusieurs signes pouvaient laisser présager une issue positive à ces consultations. C’était la première fois depuis 2016 que les belligérants – les rebelles houthistes et les représentants du gouvernement d’Abd Rabbo Mansour Hadi – étaient rassemblés sous un même toit dans l’intention de négocier. Chacun semblait disposé à faire montre d’efforts particuliers pour faire aboutir les discussions, des accords préalables sur des échanges de prisonniers ayant été conclus en forme de garanties.
De fait, les puissances occidentales se disaient soulagées de la tenue de ces négociations, rendues inévitables par l’ampleur exceptionnelle de la catastrophe humanitaire, et par les pressions exercées sur le royaume saoudien au lendemain de « l’affaire Khashoggi » (une résolution condamnant l’aide militaire apportée à Riyad a symboliquement été votée au Congrès américain le 13 décembre). Presque immédiatement suivi de raids aériens et de combats sporadiques dans la région d’Hodeïda, cet accord souffre cependant de lacunes qui, couplées à la situation hautement inflammable sur le terrain, le rendent structurellement fragile.
Des points d’accord partiels
Les parties prenantes aux consultations ne représentaient pas toute la réalité des forces en présence sur le terrain : si les rebelles ont su s’imposer comme des interlocuteurs légitimes, le gouvernement est fragilisé depuis l’exil de son leader Hadi à Riyad en 2015. Manquaient en outre à l’appel la principale force d’opposition Al-Islah et le mouvement Al-Hirak des séparatistes du sud du pays, ainsi que les parrains saoudiens et émiriens.
Historiquement fragmenté aux plans religieux, social et politique, le Yémen devient en 2015 un terrain d’affrontement régional du fait de la stratégie du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman, qui cherche autant à contenir un risque sécuritaire qu’à affirmer son leadership en interne comme sur la scène régionale. Les Emirats arabes unis y mènent également un jeu particulier, soutenant les séparatistes du sud dans le but d’accroître leur puissance géopolitique en contrôlant l’accès aux routes maritimes du sud de la péninsule.
Les points d’accord se révèlent par ailleurs partiels : les cessez-le-feu négociés étaient seulement locaux, aucun cessez-le-feu national n’était envisagé. L’ouverture aux vols internationaux de l’aéroport de Sanaa, soumis à un blocus de la coalition, que réclamaient les houthistes, n’a pas été accordée, et les garanties sur la gestion internationale du port de Hodeïda, dont l’administration par les rebelles représente 27 % de leurs revenus, ne sont pas assurées. Enfin, n’avait pas été formellement abordée la question de l’arrêt des frappes aériennes par la coalition arabe qui appuie les forces pro-gouvernementales depuis 2015.
Une occasion à ne pas manquer
Prévue pour janvier 2019, la suite des consultations est dans ce contexte incertaine. Afin de garantir la stabilité du processus de négociation engagé en Suède, il semble nécessaire de fixer un agenda pour une résolution politique du conflit incluant une large représentation des parties, et éviter ainsi sa « libysation ».
Une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, en remplacement de celle de 2015, pourrait être adoptée rapidement, demandant au secrétaire général de soumettre des propositions pour garantir le contrôle par les Nations unies des termes de l’accord, soit les cessez-le-feu, le retrait des troupes d’Hodeïda et la gestion administrative du port par une mission onusienne. L’envoyé spécial Martin Griffiths appelait de ses vœux une telle résolution le 14 décembre, qui semble obtenir l’assentiment des Emirats arabes unis.
Le dossier de la guerre au Yémen émeut l’opinion publique internationale, mais souffrait jusqu’alors de ne pas être suffisamment pris au sérieux par les puissances occidentales, car trop lointain, trop étrange, trop négligeable pour réellement mobiliser ou inquiéter. Se présente aujourd’hui une occasion à ne pas manquer pour le Conseil de sécurité de ne pas décevoir les espoirs suscités par ces consultations, et de permettre peut-être la fin d’un conflit meurtrier au pays de « l’Arabie heureuse ».
Anne Gadel, Directrice générale de l'Institut Open Diplomacy)