Il est possible d’« intégrer les personnes réfugiées par l’emploi »

Intégrer les personnes réfugiées par l’emploi ou l’activité, afin qu’elles puissent participer à la création de valeurs dans nos économies ? Soit. Mais… qu’elles ne nous prennent pas nos emplois ou nos activités ! L’idée, qui semble d’abord de bon sens, tourne vite à l’imbroglio, dans un contexte économique, social et politique très tendu. Et nos responsables quels qu’ils soient, de manquer soudainement de courage, pour reprendre à leur compte des thèses pourtant étayées par de solides rapports, celui du Fonds monétaire international notamment et faire œuvre de pédagogie.

Rappelons d’abord que l’économie et le marché du travail ne sont pas des « jeux à somme nulle », ou des « jeux au nombre de places limité ». Ce que l’un prend (emploi, activité, opportunité de marché…) contribue à créer de la place pour le suivant.

Un rapport de l’ONG américaine Tent paru en mai (« Refugees Work : A Humanitarian Investment that Yields Economic Dividends ») montre qu’un euro investi dans l’accueil des réfugiés peut en rapporter deux dans les cinq ans. Des travaux de la Banque mondiale sur l’impact du conflit syrien sur les économies limitrophes, l’économie libanaise en particulier, montrent une corrélation positive entre afflux de réfugiés et taux de croissance du produit intérieur brut (+2,5 % en termes réels en 2015 au Liban, le meilleur taux depuis 2010).

Considérons maintenant le scénario consistant à ne rien faire. Que deviennent les personnes réfugiées, une fois obtenu leur statut et donc reconnu leur droit à travailler, à l’égal de tout autre citoyen français ? Puisqu’il leur faut coûte que coûte travailler, la plupart des réfugiés doivent faire fi de leurs compétences et expériences professionnelles (sans parler de leurs projets et envies) et accepter n’importe quel emploi ou activité.

Voies communautaires

La première caractéristique de ces activités est qu’elles sont déqualifiées. Qu’une personne diplômée du supérieur, ayant exercé pendant quinze années comme comptable, se trouve à faire des ménages, c’est une énorme destruction de valeurs pour elle et pour notre économie. C’est aussi prendre le risque de fragiliser des travailleurs déjà précaires, en les mettant en concurrence avec ces nouveaux arrivés.

Il y aurait lieu de « ventiler » l’arrivée des personnes réfugiées sur l’ensemble de nos activités, à proportion de ce qu’elles peuvent nous apporter… une connaissance fine de contextes locaux par exemple, déterminante pour gagner de nouveaux marchés aujourd’hui et demain ? Le rapport Tent rappelle que les réfugiés vietnamiens (les fameux « boat people » des années 1970-1980) ont joué un rôle considérable dans le développement ultérieur du commerce international et des investissements au Vietnam.

La seconde caractéristique de ces emplois ou de ces activités est qu’ils sont souvent obtenus par des voies communautaires. Un réfugié bangladais ou sri-lankais en France deviendra commis de cuisine ou chef cuisinier. Qu’importe, diront certains, que cela les enferme dans des communautés de langue ou les maintienne dans des situations de dépendance, si ces personnes travaillent !

Soyons plus exigeants et poussons jusqu’au bout le raisonnement : après qu’elles aient bravé les dangers les plus graves sur tant de kilomètres, on accepterait sans rien faire que les personnes réfugiées échouent sur les derniers mètres à atteindre réellement leur société d’accueil, une société diversifiée, où elles pourront évoluer pour apporter leur pleine valeur ajoutée ?

Transmettre des codes professionnels et culturels

N’oublions pas les effets pervers associés à ce type de « laisser faire » et leurs coûts. Ghettoïsation, renforcement des préjugés et de la stigmatisation, outre une absence criante d’attractivité de la France (auprès des personnes réfugiées les plus diplômées notamment) amenée à se retourner contre nous, là où des actions volontaristes permettraient au contraire de tisser des liens réels, et de favoriser des intégrations professionnelles réussies, pouvant servir de Role Models.

Un programme d’action volontariste, l’association Kodiko en propose un, soutenue par Singa France et son incubateur. Kodiko, du grec : « code ». Ou comment transmettre des codes professionnels et culturels aux différentes parties pour qu’elles s’entendent.

Des antécédents existent dans d’autres pays européens ou nord-américains : programme « Mentorat Emploi Migration » en Suisse ; programme de mentorat interculturel et intergénérationnel « Duo for a Job » en Belgique ; programme du TRIEC (Toronto Region Immigrant Employment Council) au Canada… En France, de grandes entreprises ont décidé de faire le pas.

Accueillir réellement l’« Autre », être en mesure de le recevoir et de l’entendre en tant qu’« Autre », sans chercher à le réduire à soi, cela rend agile, cela rend créatif et cela rend confiant ! Mais n’est-ce pas là quelques-unes des vertus après lesquelles notre économie court sans cesse ?

Par Maÿlis Dupont et Cécile Pierrat Schiever (Kodiko) et Guillaume Capelle (Singa)

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