Il est possible de créer les conditions d’un Brexit à l’amiable en respectant la souveraineté de tous

Le négociateur de l’Union européenne (UE), Michel Barnier, travaille sur la base d’un mandat conféré par le Conseil européen. Ayant brillamment négocié et fait approuver par les Vingt-Huit un accord de retrait que le Parlement britannique a rejeté et que le nouveau gouvernement dirigé par Boris Johnson a répudié tant qu’il contient le « backstop » irlandais [« filet de sécurité » destiné à éviter le rétablissement d’une frontière physique en Irlande], il serait étonnant que M. Barnier n’estime pas que la balle est dans le camp britannique.

Ce sont bien, après tout, ces « Messieurs les Anglais » qui ont créé le problème : le Brexit, ainsi que la sortie de l’union douanière et du marché intérieur, sont des actes unilatéraux britanniques. Mais si les Britanniques sont incapables d’agir à cause de leurs problèmes internes, peut-être les chefs d’Etat ou de gouvernement qui ont transmis à M. Johnson des messages encourageants ces derniers temps pourront-ils ouvrir la porte à la négociation.

La paix et la prospérité en Irlande, le sort des citoyens européens établis au Royaume-Uni, la situation des entreprises impliquées dans le commerce avec ce pays, voire même l’image de l’Europe dans le monde, sont des sujets de la plus grande importance pour M. Macron, Mme Merkel et leurs collègues. Voici donc quelques idées qui méritent discussion pour trouver une voie de sortie.

L’UE attend avec raison une garantie que le Brexit ne compromettra pas l’intégrité de son territoire douanier et réglementaire. D’où son insistance sur le « backstop ». Le Royaume-Uni attend quant à lui avec raison une garantie qu’il ne sera pas prisonnier d’une union douanière qu’il souhaite, à tort ou à raison, quitter.

Des garanties

Résoudre la question du « backstop » est donc primordial. Toutes les parties prenantes sont d’accord sur une chose : après le Brexit, il ne saurait y avoir une infrastructure frontalière entre l’Irlande du nord et la République d’Irlande. Le Royaume-Uni voudra fixer ses tarifs douaniers.

Imaginons qu’ils soient inférieurs à ceux de l’Union européenne sur les téléphones portables importés des Etats-Unis. S’il n’y a pas de frontière, comment empêcher que de tels téléphones importés au Royaume-Uni soient expédiés en Europe via la frontière irlandaise, échappant ainsi aux droits de douane européens ? Et il n’y a pas que la douane. Supposons que le Royaume-Uni réglemente différemment la sécurité des casques de motard ; comment dès lors contrôler que des casques non conformes aux normes européennes soient écoulés librement en Europe en passant par l’Irlande ?

L’Union européenne doit avoir des garanties que l’intégrité de son union douanière et de son marché unique ne sera pas compromise par une décision de laisser ouverte la frontière terrestre irlandaise.

Le « backstop » négocié par Michel Barnier fournit cette garantie. Il prévoit que le Royaume-Uni reste dans une union douanière et réglementaire avec l’Union tant qu’un accord définitif de libre-échange ne sera pas entré en vigueur. Problème résolu. Pourquoi donc ce tollé outre-Manche ? Une manie de plus des europhobes britanniques ? L’Union européenne ne serait-elle pas en droit d’insister sur l’intégrité de son territoire et de ses normes ?

Autonomie réciproque

Nous sommes en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne et regrettons le Brexit. Mais force est de constater qu’un pays qui quitte l’Union peut vouloir reprendre une politique commerciale autonome. Comment empêcher qu’un tel pays, en l’occurrence le Royaume-Uni, souhaite fixer ses propres tarifs sur les produits d’importation en poursuivant souverainement ses propres politiques industrielle et sociale ? Comment le priver du droit d’appliquer ses normes aux produits alimentaires importés, et qu’ils contiennent par exemple, ou non, des OGM ? Comment l’obliger à suivre des réglementations européennes qu’il n’aura pas adoptées ?

L’égalité de traitement n’impose-t-elle pas une réciprocité symétrique ? Le Royaume-Uni a lui aussi le droit d’insister sur l’intégrité de son territoire douanier et réglementaire.

Le « backstop » est censé être une solution provisoire en attendant l’arrivée d’un accord définitif. Mais en fait, ce serait le cas seulement si cet accord définitif arrivait au même résultat, c’est-à-dire des règles similaires sinon identiques de part et d’autre de la frontière irlandaise.

Notre proposition, dite de l’autonomie réciproque, est construite sur certains des fondements du « backstop » et permet de réaliser son ambition première, l’intégrité douanière et réglementaire sans frontière physique. Mais elle va plus loin que le « backstop » et enlève les aspects qui ont empêché l’approbation politique des deux parties.

Laissons travailler polices et douaniers

Le « backstop » n’aurait pas fonctionné sans coopération et confiance entre les administrations concernées. Les Britanniques auraient dû percevoir des droits et contrôler la conformité des produits de leur côté. Les fonctionnaires britanniques auraient travaillé pour l’Union. Et vice versa.

Notre proposition accepte cet état de fait. Elle permettrait aux deux parties de garder leur autonomie administrative et judiciaire. Une interdiction juridique serait introduite en droit européen et en droit britannique, assortie de sanctions pénales, d’exporter vers l’autre territoire des marchandises non conformes au droit du territoire d’importation. De la même manière, il serait interdit d’exporter vers l’autre territoire des marchandises sans paiement des droits de douane du pays de destination.

Comment contrôler tout cela ? En fait, peu de contrôles et perceptions de droits ont lieu aujourd’hui à la frontière même. Ce qu’on contrôle, ce sont des papiers, des certificats, des attestations. Que faire des tricheurs ? Comme aujourd’hui, les démasquer par des contrôles inopinés et les sanctionner, lourdement s’il le faut. Donc créons des centres de contrôle ailleurs qu’à la frontière et laissons travailler polices et douaniers dans le cadre d’une bonne coopération internationale et intra-insulaire dans le cas de l’Irlande.

Nous sommes en mesure d’expliquer en détail ce système, qui assurerait efficacement la parité de traitement des deux parties. Nous avons produit des « fiches » de réponses aux questions qui ne manqueront pas de se poser, et nous les tiendrons à jour. Il serait étonnant que les trois administrations européennes, britanniques et irlandaises ne réussissent pas à mettre en œuvre avec succès un système qui crée les conditions pour rendre possible un Brexit à l’amiable et respectant la souveraineté de tous.

Jonathan Faull est consultant britannique, spécialiste des affaires européennes au sein du Brunswick Group, membre du conseil d’administration de l’Institut Jacques Delors.

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