Il est problématique d’éliminer la question sociale dans la réflexion sur les migrations

Le président élu au Mexique, Andrés Manuel Lopez Obrador « AMLO », un homme de gauche, vient de faire une déclaration sur la caravane des migrants en provenance du Honduras. Il a dit qu’il fallait respecter les droits humains pour ces migrants et leur donner du travail. Il est donc opposé aux politiques de Trump qui pense pouvoir apporter une « solution » militaire aux migrations. « AMLO » a aussi ajouté qu’il fallait travailler à créer les conditions socio-économiques pour que les migrants puissent trouver « le bonheur là où ils sont nés ». La solution au « problème migratoire » est, dit-il, dans un plan de développement pour l’Amérique latine.

Cette position conjugue les deux volets de ce qu’une politique juste devrait être. « AMLO » comprend que traiter dignement des migrants ne suffit pas et qu’il faut intervenir sur les causes des migrations. En d’autres termes, la migration doit être appréhendée à deux niveaux, celui de l’urgence humanitaire mais aussi celui du capitalisme mondialisé et de son cortège d’injustices.

Dans le cas des Amériques, les raisons qui poussent des populations à vouloir fuir sont complexes et conjuguent l’oppression politique et la misère. Dans le cas du Honduras, les migrations sont directement liées aux interventions des Etats-Unis. Si l’Alena [l’accord de libre-échange nord-américain] détruit les bases de l’agriculture mexicaine, elle provoque des vagues migratoires. La position du futur président mexicain est celle d’une gauche exemplaire, humaniste et critique du capitalisme financier.

Rhétorique du bouc émissaire

En Allemagne, Sahra Wagenknecht [vice-présidente du parti Die Linke (« la gauche »)] défend des positions similaires qui sont régulièrement caricaturées en positions dites antimigrants. Le Monde a parlé de « gauche antimigrants ». Wagenknecht explique pourtant qu’elle refuse le racisme, qu’elle est favorable à l’asile politique et qu’elle souhaite lutter contre le parti d’extrême droite, l’AFD, notamment en déconstruisant la rhétorique du bouc émissaire dans les classes populaires. Elle s’appuie sur une critique de gauche du fonctionnement du capitalisme.

Le discours de Wagenknecht qui est fort proche de celui d’AMLO a provoqué une série de dénonciations à gauche et d’accusations de proximité avec l’extrême droite. Wagenknecht a un discours marxiste traditionnel à un moment où les idées d’extrême droite gagnent du terrain partout. Les discours humanitaires des néolibéraux sur l’immigration sont souvent des monuments d’hypocrisie, soit parce qu’il n’y a pas d’accueil humanitaire des migrants – ce qui est le cas en France –, soit parce qu’il s’arrime, au moins pour un temps, aux nécessités du capitalisme en manque de main-d’œuvre, comme en Allemagne en 2015.

Une partie de la gauche a adopté la rhétorique des mouvements « No Border »  et une autre partie de la gauche montre que dans l’état actuel du monde, seuls les Etats peuvent lutter contre la misère. Ce débat fondamental est pollué par certaines déclarations ambiguës.

Lorsque Mélenchon parle de travailleurs détachés qui volent le pain « aux travailleurs qui se trouvent sur place », il prête le flanc aux accusations de proximité idéologique avec l’extrême droite. Wagenknecht ou « AMLO » ne rendent pas des individus responsables d’un système et il est clair que dans le monde injuste du capitalisme mondialisé, les migrants ou travailleurs détachés sont des victimes de l’injustice, pas des voleurs de pain.

Cheval de bataille

Mélenchon a d’abord justifié son choix de mots avant de le regretter mais, de façon générale, ses emportements problématiques ou accusations incontrôlées finissent par saboter les idées qu’il dit défendre. La misère sociale touche diverses catégories dont certaines sont immigrées. Le reproche souvent adressé aux intellectuels qui défendent, à juste titre, les droits humains des réfugiés mais vivent dans des quartiers favorisés, est facile à comprendre et difficile à réorienter vers une critique sociale et politique du capitalisme.

Un discours humanitaire mais authentiquement anticapitaliste qui nomme les responsables de la domination est seul à même de contrecarrer le choix de boucs émissaires. Il est problématique d’éliminer la question sociale dans la réflexion sur les migrations. Sahra Wagenknecht a donc raison de réintroduire la rhétorique de justice socio-économique et d’en faire le cheval de bataille contre la montée de l’extrême droite.

Dans sa tribune publiée par Le Monde, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, déclare que c’est l’absence de droits qui crée du dumping social, pas l’immigration. Bien évidemment, le capitalisme mondialisé pratique ce dumping social. Si le problème des migrations n’est abordé que sous l’angle de l’humanitarisme, du bien ou du mal sur le plan éthique, de la tolérance et de l’ouverture à l’autre, il manque une dimension essentielle.

Créer de la justice

De même que la philanthropie est une imposture qui légitime l’exploitation, les phénomènes migratoires et leurs diverses conséquences ne peuvent être abordés qu’avec des bons sentiments. Le monde a besoin de multiples plans Marshall pour créer de la justice et il faut cesser les interventions militaires qui créent les problèmes de migration que l’on traite ensuite hypocritement, ce qui maintient en place les systèmes générateurs d’inégalité.

Il est fort étrange que les interventions militaires catastrophiques soient si rarement mentionnées dans les débats sur les migrations. Beaucoup d’analystes déplorent les conséquences des phénomènes qu’ils ont adorés. Les cas du Honduras, de la Libye ou de l’Afghanistan sont très significatifs.

Andrés Manuel Lopez Obrador, Wagenknecht, mais aussi Bernie Sanders (Parti démocrate) contribuent utilement à la réflexion complexe. Sanders explique qu’ouvrir les frontières est une proposition des frères Koch, des milliardaires d’extrême droite. Il n’est jamais accusé d’être anti-migrants. Se pourrait-il que l’accusation d’être anti-migrants vise celles et ceux qui sont opposés au capitalisme financier ?

Par Pierre Guerlain, Professeur émérite en études américaines, université Paris-Nanterre.

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